Voix publique

La république des satisfaits

Le 24 juin prochain, Jean Charest fêtera ses 50 ans en arborant sûrement un très, très large sourire. Verre de champagne à la main, on l'imagine au bord du lac en train de méditer sagement sur ses 10 années de montagnes russes passées à la tête du Parti libéral. Et on le voit presque lever les yeux au ciel et crier un gros "YES!!!!".

Bref, comme une majorité de Québécois le sont maintenant envers son gouvernement, il se sentira satisfait. Très satisfait.

Que ce soit chez Léger Marketing ou CROP, la tendance s'accentue. Le PLQ poursuit sa remontée. Le miracle est tellement frappant qu'on croirait que Jean Charest a monté l'escalier de l'Oratoire à genoux. Fidèle à sa marque de commerce, Jean Charest est passé une fois de plus de mort-vivant à survivant!

Oui, il a changé son entourage pour le mieux en ramenant des valeurs sûres de l'école bourassienne. Oui, il a cessé de prendre le Québec à bras-le-corps avec sa "réingénierie" tout en maintenant le cap plus discrètement vers la droite. Oui, il consulte dorénavant ad nauseam tout en s'assurant de n'adopter aucune mesure controversée. C'est la stratégie préélectorale classique: ne rien brusquer, ne rien faire et ne rien défaire. Enfin, pas tout de suite.

C'est le ronron petit patapon, le petit train qui ira loin, etc. Et ça semble fonctionner très bien pour le PLQ, merci beaucoup. C'est comme si, avec les bruits sourds de récession, la déception face à l'ADQ et à un PQ n'en finissant plus de se défaire de sa raison d'être, de plus en plus d'électeurs optaient tout simplement pour le "changement dans la continuité".

Autre fleur au premier ministre: cette semaine, pour la première fois depuis l'élection et à peine quelques mois après que Jean Charest eut été voué à une disparition certaine, les libéraux hument le doux parfum d'un possible retour à un gouvernement majoritaire… Ça n'a rien de sûr, mais ça regarde quand même bien pour eux. Mais qui a dit que l'analyse politique était une science exacte?

GROS JEAN COMME DEVANT

Quant à l'ADQ, on aura beaucoup parlé de son équipe éternellement inexpérimentée, un plus gros problème pour Mario Dumont semble être son incapacité chronique à se définir une vision claire. Quelle qu'elle soit! Maintenant que le ballon adéquiste des accommodements raisonnables a été dégonflé par une commission Bouchard-Taylor longue et fastidieuse (voir l'essai éclairant et intelligent de mes collègues Jeff Heinrich et Valérie Dufour, Circus quebecus), Mario Dumont se retrouve gros Jean comme devant.

Et ce n'est pas en s'accrochant de manière aussi irréfléchie à la question de l'immigration qu'il marquera des points. Cela étant dit, M. Dumont sait qu'il est dans le trouble. Espérant que le geste lui portera chance comme pour Jean Charest, voilà qu'il passe l'aspirateur dans son entourage, déplace des pions et recrute quelques joueurs. La suite aux prochains sondages…

LA BONNE ET LA MAUVAISE NOUVELLE

Pour ce qui est des péquistes, la bonne nouvelle pour eux est que leur parti est maintenant vu comme une opposition nettement plus efficace que l'ADQ. La mauvaise nouvelle est que l'"effet" Marois s'estompe à mesure que les souverainistes réalisent l'ampleur du virage qu'elle a fait prendre à des militants désarçonnés par le désastreux petit 28 % obtenu à l'élection. Pourtant, aujourd'hui, le PQ fait à peine mieux que sous André Boisclair. Matière à réflexion.

Après la résurrection du PLQ, l'autre tendance marquante est donc cette incapacité du PQ à profiter de la descente aux enfers de l'ADQ. Le vote adéquiste a beau être nationaliste en grande partie, les votes que Mario Dumont perd semblent se déverser un à un dans les petites mains reconnaissantes des libéraux. Pauline Marois aurait-elle sacrifié le référendum pour rien?

Cette décision ne pouvait qu'amorcer une lente démobilisation. Pourtant, satisfaite de son virage, Mme Marois ne semble pas voir que pour un seul divorce du PQ fracassant et hautement médiatisé comme celui de VLB, beaucoup d'autres, plus discrets, risquent de se concrétiser dans l'isoloir.

Mais avant, on aura pu voir si la suggestion de Mme Marois d'accoucher d'une "nouvelle loi 101" le jour où le PQ reprendrait le pouvoir fera office de substitut satisfaisant à la souveraineté. Sur cette question, le défi de Mme Marois est toutefois énorme. Elle devra convaincre les électeurs de sa sincérité. Grosse commande. Au fil du temps, les dirigeants de ce parti sont devenus plutôt perméables aux pressions des milieux d'affaires irrévocablement opposés à tout renforcement de la loi 101… et les électeurs l'ont bien vu. Mme Marois, qui ne fut jamais une pasionaria de la loi 101, serait-elle vraiment capable de livrer cette marchandise si elle devenait première ministre? Mystère et boule de gomme.

Il y a tout de même une bonne nouvelle pour les trois partis: du temps. Mais pas beaucoup. Si les appuis au PLQ montent encore, Jean Charest pourra-t-il résister cet automne à une élection au sortir du sommet de la francophonie? En attendant, pour reprendre le mot de John Kenneth Galbraith, auteur de la vraie République des satisfaits, nos "élites" font de plus en plus dans la "culture du contentement". Et on semble, faute de mieux, en être plutôt contents…