Voix publique

Le vent tourne

Jean Charest est sur une lancée. Le vent tournant pour son gouvernement dans les sondages, le voilà qui verse dans l'énergie éolienne.

Fort de sa nouvelle stratégie de communication garantie anti-controverse, le premier ministre en a fait l'annonce d'une manière qui n'avait rien des gaffes du Suroît ou du Mont-Orford. Il parle maintenant d'"acceptabilité sociale". Le gouvernement libéral se veut "vert". Alléluia.

Mais là où ça ne change pas, c'est dans sa décision de se tourner vers le privé. Dans ce cas-ci, on s'en remet à lui pour le développement d'une ressource pourtant stratégique pour le Québec. Si l'hydro-électricité l'était suffisamment pour valoir sa nationalisation, on se demande pourquoi l'énergie éolienne et une bonne part de ses profits seraient remises à des méga-consortiums, qu'ils soient allemands, français ou d'ici.

Le privé profitera d'un prix garanti pour vingt ans – 8,7 cents du kWh, plus le transport. Une belle machine à imprimer de l'argent. Mais une machine dont Hydro-Québec, donc nous, profitera nettement moins que s'il s'était chargé lui-même de la production.

Sans rire, Claude Béchard, le ministre des Ressources naturelles, annonce qu'"on verra en 2015" si le rôle du privé demeurera aussi important. Comme si, après avoir goûté aux profits et s'être érigé en gardien de cette expertise, le privé se retirerait un jour, comme ça, juste pour être gentil avec nous… Mais comme on ne peut que se réjouir de voir le Québec diversifier ses sources d'énergie propre, on finira bien par avaler cette nouvelle pilule.

De fait, s'il y a un vent qui souffle, ici comme ailleurs, c'est celui provenant du milieu des affaires. Veinard, il s'installe aussi de plus en plus confortablement dans la production d'énergie au Québec, que ce soit par l'éolienne ou Rabaska. On dirait qu'en échange de ne pas privatiser Hydro-Québec, nos dirigeants ont choisi de donner au privé le plus de nouveaux développements possible. Que ce soit en santé ou dans la production d'énergie, leur message au secteur privé est clair: "Vous n'aurez pas le gâteau au complet, mais on va vous en donner de bien beaux morceaux." Le problème, c'est qu'avec le privé, l'appétit vient en mangeant.

LA PRESQUE NATION

Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous? À chaque fois qu'on entend parler du 400e, c'est que quelque chose cloche. Cette fois-ci, c'est la gouverneure générale du Canada qu'on invite en France pour inaugurer les festivités du 400e de Québec. Pas le premier ministre du Québec, mais la représentante de la reine d'Angleterre et de tout le Commonwealth! On aurait voulu avoir l'air colon, vraiment colon, qu'on ne s'y serait pas pris autrement.

(Aujourd'hui, le 7 mai, on apprend que Monsieur Charest se rendra finalement à Bordeaux et à Paris du 17 au 19 mai. On nous dit que le voyage était prévu depuis un bout de temps. Soit (quoique les journalistes n'en avaient pas été informés auparavant). Mais cela ne change rien au fait que le PM du Québec ne sera PAS du lancement des célébrations du 400e en sol français, que c'est plutôt Michaëlle Jean qui l'est et qu'elle ne se gêne pas pour vanter la francophonie canadienne plutôt que le Québec. Une vraie honte.)

L'attachée de presse de Philippe Couillard, ministre responsable de la Capitale-Nationale, en a sorti une bonne: "Il n'y a pas de CHICANE de visibilité" entre Ottawa et Québec. Sans blague? Il n'y a pas de CHICANE parce que Québec laisse Ottawa récupérer le 400e à ses propres fins. Pour reprendre l'observation de deux étudiants au doctorat en linguistique cités dans Le Devoir, Ottawa fait dans la "réappropriation des faits historiques pour servir l'idéologie de la nation canadienne". L'art de dire les choses clairement. Québec laissant faire, le 400e devient insidieusement le 400e du Canada.

Michaëlle Jean, celle que Le Monde a baptisée la "presque reine du Canada", jasera donc 400e et histoire canadienne à Paris avec Sarko et une brochette de politiciens français. Parions qu'ils jaseront aussi de cet autre vent qui tourne, celui du rapprochement accéléré entre la France et Ottawa. Parions que plus discrètement, ils jaseront également de l'abandon possible de la politique française de "non-ingérence et de non-indifférence" envers le Québec. Bien sûr, rien ne se fera tout de suite. Ça risquerait d'embarrasser le gouvernement minoritaire de M. Charest.

Mais si M. Charest devait récolter une majorité à la prochaine élection, Sarko s'empresserait sûrement de faire cette ultime fleur à son grand ami et mentor Paul Desmarais sr., ze-big-boss de Power Corp. À l'émission de Christiane Charette, Claude Charron a résumé le phénomène Sarko-Desmarais mieux que quiconque. Sarko, a-t-il dit, voudrait adopter "la politique de Power Corporation envers le Canada". Traduction: exit la question nationale, et bon débarras.

Bref, à bien y penser, peut-être qu'une presque reine est tout indiquée pour représenter en France un Québec dont les dirigeants se comportent comme ceux d'une presque nation. Pourtant pas un méchant séparatisse, Mario Dumont dénonçait récemment la "canadianisation" des relations Québec-France. Que dire d'autre lorsque le Québec semble incapable de fêter le 400e de SA capitale sans l'argent ou la tutelle d'Ottawa, ni sans sa jolie et charmante presque reine.

Tant qu'à y être, soyons cohérents jusqu'au bout et changeons aussi l'appellation de Québec pour celle de "capitale presque nationale".

VIANDE À CHIEN!

Sur une autre note, Statistique Canada nous apprenait que les travailleurs du plus meilleur pays du monde n'avaient gagné que 53 $ en pouvoir d'achat réel depuis 25 ans. Même Séraphin Poudrier trouverait ça pingre! Seuls ceux faisant partie d'un couple où les deux travaillent ont vu leur sort s'améliorer un peu.

Message aux Facal, Montmarquette et aux autres "lucides" de ce monde: voilà une autre raison de ne pas augmenter les tarifs comme des fous. La classe moyenne n'a pas une capacité infinie de payer. À preuve. Quant à la génération X et aux suivantes, Stats Can confirme aussi la multiplication des travailleurs contractuels et précaires. Condamnés à la mission impossible de tout couvrir eux-mêmes (REÉR, maladie, vacances, etc.), ils seront encore moins capables de payer pour la privatisation accrue des services publics ou des tarifs plus élevés.

La seule protection restante selon Stats Can: les syndicats. N'en déplaise aux "lucides". Mais comble de malchance, les plus jeunes auront aussi de moins en moins accès à un poste syndiqué… Là aussi, le vent tourne.