Voix publique

Un mariage d’intérêt

Le 26 septembre 2007, les libéraux de Jean Charest étaient mourants. À 24 % au Québec, et à un minuscule 15 % chez les francophones, la pierre tombale du gouvernement était achetée et le testament était rendu chez le notaire.

Confirmant une fois de plus la fameuse maxime de Robert Bourassa voulant qu'en politique, six mois, c'est une éternité, huit mois plus tard, le PLQ trône à 41 %. Voilà donc venu le chiffre magique qui, s'il se matérialisait à la prochaine élection, donnerait aux libéraux un troisième mandat, majoritaire de surcroît.

Comme l'appétit vient en mangeant, Jean Charest se fait maintenant des muscles supplémentaires avec son nouveau partenaire, le PM ontarien Dalton McGuinty. Mais attention. Ce n'est pas tous les jours que le Québec et l'Ontario se liguent pour s'en prendre aussi durement au PM fédéral. Bien sûr, on parle de politique. Cette alliance entre deux PM libéraux contre un PM fédéral conservateur est circonstancielle. On ne parle pas ici d'amour, mais bien d'un mariage d'intérêt.

Pour ce qui est de McGuinty, l'homme est en furie contre les politiques économiques de Harper. Il refuse aussi de croire que la puissante Ontario rejoindra bientôt la liste des provinces dites "pauvres". Mais la vengeance est douce au cour de l'Ontarien. Sa vengeance de cette semaine, parions qu'il la dégustera aussi en famille, avec son frère David qui, comme par hasard, est le critique du Parti libéral du Canada en environnement…

MONSIEUR ENVIRONNEMENT

Quant à Charest, l'oil rivé sur une possible majorité, il vient de frapper un coup de circuit. Le voilà brandissant la création d'un "marché commun" avec l'Ontario. Connaissant le talon d'Achille de Harper en environnement, il se fait aussi le chantre toutes catégories d'un marché climatique visant à faire plafonner les émissions de gaz à effet de serre de manière plus efficace qu'Ottawa. Le PQ peut bien parler d'identité, son ambition préélectorale est claire: être à la fois "Monsieur Économie" et "Monsieur Environnement"!

Le hasard des événements récents à Ottawa fait aussi en sorte que le divorce très public de Charest et Harper arrive au moment où l'affaire Couillard-Bernier et des sondages inquiétants rendent le PM fédéral particulièrement vulnérable. En fait, la toute dernière chose dont Harper avait besoin le jour même de son retour d'un voyage raté en Europe était de voir Charest et McGuinty se liguer pour le critiquer aussi vertement! Il faut dire que le lendemain n'aura pas été plus tendre avec la nouvelle que, plus jeune, Julie Couillard aurait été l'amante d'un mafioso proche de Frank Cotroni. Tant qu'à y être…

Attaquant Harper de front, Charest n'a pas mâché ses mots. Il a traité les politiques environnementales fédérales de "désynchronisées" par rapport au "reste de la planète"! "Si on a le choix entre le VHS et le Betamax, lança-t-il, il me semble qu'on est mieux d'aller là où la technologie s'en va." L'image fait mouche, mais un conseiller devrait tout de même informer M. Charest qu'il existe maintenant des DVD…

Pourtant, se faire comparer à un vieux gugusse dépassé était sûrement moins douloureux pour Harper que de voir les deux provinces dont il a besoin pour se faire réélire lui tourner le dos aussi brutalement. Les dominos de la nouvelle alliance Charest-McGuinty n'ont pas fini de tomber.

Et un de ces dominos va nettement au-delà de la guéguerre partisane contre Harper ou du marketing de Charest et McGuinty. Ce domino, c'est celui du nouveau rapport de force interrégional qui se dessine au sein même de la fédération depuis l'arrivée au pouvoir de Harper.

LE CAUCHEMAR DU CANADA CENTRAL

Cet éveil du Canada central – le Québec et l'Ontario -, tout circonstanciel soit-il, est également une fronde contre le pouvoir économique et politique croissant de la très riche Alberta aidée à Ottawa par ses alliés de l'ancienne Alliance canadienne siégeant au gouvernement Harper.

En levant le nez sur la politique environnementale d'Ottawa et en appelant la Colombie-Britannique, le Manitoba et d'autres provinces à se joindre à eux, Charest et McGuinty contestent ouvertement l'autorité du fédéral et l'influence de l'Alberta tout en tentant d'imposer la leur. Pas seulement en paroles. En gestes aussi. Harper le sait trop bien: les manouvres de Charest et McGuinty sont partisanes, mais elles cherchent aussi à isoler Ottawa et l'Alberta alors que la prise du pouvoir par les conservateurs devait enfin ouvrir les portes fédérales à la richissime province de l'Ouest.

En mettant conjointement leur poing sur la table, Charest et McGuinty servent leurs propres intérêts partisans à court terme. Mais ils tentent aussi clairement d'asseoir à nouveau le "Canada central" dans le siège du conducteur. Messieurs Charest et McGuinty ont beau être des fédéralistes inconditionnels, la montée du pouvoir et de l'argent albertains à Ottawa doit sûrement leur donner quelques bons gros cauchemars et des sueurs froides bien salées.

Évidemment, une défaite du gouvernement Harper, le retour des libéraux à Ottawa et un troisième mandat pour les libéraux de Charest aideraient encore mieux à mettre fin aux mauvais rêves du "Canada central"…

En tapant aussi fort sur les conservateurs fédéraux, dont il vient lui-même, il faut croire que M. Charest serait enfin devenu un "vrai" libéral. Ne dit-on pas que les convertis finissent toujours par être les plus pratiquants?