Voix publique

La voix du maître

Lorsque j'étais au cégep, un politologue canadien-anglais de passage est venu me faire un brin de jasette après sa conférence. Il m'a demandé qui était le premier ministre du Canada. Croyant qu'il se moquait de moi, j'ai répondu n'importe quoi à la blague: "John Turner".

"Parfait, m'a-t-il lancé, vous avez bien compris que celui qui détient officiellement le poste a plus ou moins d'importance. Et savez-vous pourquoi? Parce que le VRAI premier ministre du Canada, c'est Paul Desmarais! Les premiers ministres passent, mais Power Corp. demeure!"

Il faut croire que le magazine français Le Point l'a compris. Sous le sourire radieux de M. Desmarais, le titre de la page couverture de son édition du 26 juin en dit long: "L'avenir selon Paul Desmarais". Le politologue canadien-anglais s'exclamerait sûrement "pourquoi pas"? Une manière comme une autre de souhaiter une bonne fête nationale… au Canada.

Pour Le Point, la prise est de taille. Bien qu'il soit un magnat des médias, que ses enfants perpétuent la dynastie et que son empire possède un organigramme tentaculaire couvrant tout un éventail d'activités économiques, M. Desmarais ne cherche pas les projecteurs. Les plus puissants sont souvent les plus discrets. D'où l'intérêt de cette rare sortie du Canadien le plus influent de son temps.

(Le détour vaut aussi pour cette magnifique photo aérienne de son domaine de Sagard où vedettes et chefs d'État arrivent justement en hélicoptère et dont les bâtiments sont inspirés de la villa italienne La Malcontenta, alors que les jardins font plutôt Versailles. Robert Charlebois, nous dit M. Desmarais, y est même "un habitué"…)

Que M. Desmarais se soit ouvert à un magazine français est tout de même un beau geste de reconnaissance envers son grand ami Sarko. Primo, pour lui avoir décerné la grand-croix de la Légion d'honneur en présence, d'ailleurs, de Jean Charest. Secundo, pour le virage majeur entrepris par Nicolas Sarkozy dans la politique étrangère française. Car c'est bien en cette année du 400e de Québec que Sarko a choisi de se rapprocher d'Ottawa comme aucun de ses prédécesseurs n'avait osé le faire aussi ouvertement.

Ce virage, M. Desmarais le voudrait également dans la création d'un marché commun entre l'Europe et le Canada: "La France, le Québec et le Canada doivent travailler ensemble pour créer des emplois et pour bâtir des relations étroites." Par hasard, Jean Charest se fait le défenseur de cette même idée depuis quelques mois.

POUVOIR OBLIGE

En entrevue, Paul Desmarais, dont un fils a épousé la fille de Jean Chrétien, se décrit néanmoins comme un "conservateur". D'où sa filiation instantanée avec les chefs d'État s'identifiant plus à droite. Mais Desmarais est un homme de pouvoir. Point à la ligne.

Sachant que la préservation du pouvoir économique passe souvent par la préservation du pouvoir politique, il exerce son influence depuis des lunes auprès de la classe politique d'ici et d'ailleurs. Au fil du temps, à Ottawa comme à Québec, il a pris plusieurs futurs leaders sous son aile. Sa dernière recrue ne passe d'ailleurs pas inaperçue. Il restera à voir si le passage d'Henri-Paul Rousseau de la Caisse de dépôt et placement à la vice-présidence de Power Corporation prépare aussi un avenir politique radieux à cette grosse pointure de l'élite financière québécoise!

Franco-Ontarien de naissance, Desmarais est surtout un fédéraliste inconditionnel: "Je suis Canadien. Le Canada, c'est mon pays. Le Québec, c'est ma province." L'homme est clair. Pas question de parler d'une "nation" québécoise. Pouvoir oblige: la nation est forcément canadienne.

En fait, son pouvoir est tel que même la plupart des chefs du PQ l'ont soit craint, soit admiré, soit fréquenté. Seul Jacques Parizeau, lui-même issu d'une famille d'affaires nantie, a toujours vu Desmarais pour ce qu'il est objectivement face aux souverainistes: un adversaire brillant qu'il ne faut jamais sous-estimer. On pourrait même dire que Paul Desmarais a tendance à se comporter comme un pays. Il n'a pas d'états d'âme, seulement des intérêts.

Dans Le Point, Desmarais retrouve même ses vieux réflexes de période référendaire. Il semble y laisser entendre qu'un Québec indépendant ne serait pas démocratique: "Si le Québec se sépare, ce sera sa fin. Moi, je suis attaché à la liberté et à la démocratie." Ah bon?

À moins que ce ne soit son journal La Presse dont il annoncerait la «fin» après un Oui?  On conviendra que ce serait aussi là une conception fort particulière de l'information.

Tenez, une autre qui a souvent ces deux mots à la bouche est l'omniprésente Michaëlle Jean. L'entrevue qu'elle et son mari ont donnée à la revue La Scena devrait sûrement valoir bientôt au couple vice-royal une belle invitation à Sagard!

Le 30 juin, Le Devoir rapportait que la GG, toujours prête à en donner plus que le client fédéral en demande, en appellerait maintenant à la création d'une politique culturelle canadienne commune. Ce n'est sûrement pas Paul Desmarais qui la contredirait là-dessus…

Sur ce, et au-delà des GG de ce monde, je vous souhaite un magnifique 400e! La Capitale nous attend. On arrive!