Voix publique

L’e$prit à la fête

On s'en serait douté. Le passage de Paul McCartney, ou de Sir Paul, comme l'ont répété ad nauseam nos médias médusés, sert bien d'autres intérêts encore que ceux de l'amour de la musique…

Pour la ville de Québec, comme l'aurait dit le maire Drapeau, elle se voit enfin mise "sur la map"! Elle pourra attirer à l'avenir d'autres gros noms qui, sans la venue de l'ex-Beatle, auraient survolé la Capitale pour atterrir presto à Montréal. Son industrie touristique en a pour des années de belles retombées économiques. Bref, Québec, comme toute ville normalement constituée, saute sur une occasion en or pour bonifier sa visibilité et ses revenus.

Pour Régis Labeaume (le maire à qui le mot "histoire" donne de l'urticaire), la récolte politique s'annonce également fort belle. Combien vous pariez que le mégacoup publicitaire de ce concert aidera à sa réélection? Quant à la Société du 400e, on devine qu'elle compte sur le souvenir des beaux yeux de Sir Paul pour faire oublier sa longue enfilade de ratés et nous faire moins remarquer un 400e plus ou moins vidé de sa substance historique.

Car s'il y a une chose que les futurs historiens noteront, c'est à quel point les notables municipaux, provinciaux et fédéraux auront accouché d'une programmation fort jolie, mais trop souvent déconnectée du sens même du 400e. Parions qu'ils se gratteront aussi l'occiput devant ce logo officiel rose magenta…

Ils nous l'auront répété à satiété. Pour le maire et la Société, le but est d'avoir du fun, d'être cool et d'avoir l'esprit FESTIF. Comme si "fête" et "commémoration historique" devaient s'exclure l'une l'autre. Lorsque, en 1976, les États-Uniens ont "fêté" le bicentenaire de leur révolution, ils ont pourtant su marier la fête, les "grosses vedettes" et la pédagogie historique. Mais ici, trop de "sens" dérange. Comme le disait Daniel Gélinas, président de la Société du 400e, l'important est aussi que ce concert permette aux gens de Québec d'avoir un "party de Noël" qui "va être le fun en ti-ti!".

LE BEATLE AUX OUFS D'OR

Les futurs historiens se demanderont sûrement d'où pouvait bien venir cette réaction de reconnaissance béate pour les quelques mots de français prononcés par Sir Paul. Comme si l'ex-Beatle avait marché sur les eaux du Saint-Laurent tel un messie des temps modernes! Pourtant, toute vedette internationale qui se respecte dit quelques mots dans la langue de son public. Un peu d'ukrainien à Kiev, un peu d'italien à Rome, etc. On appelle ça le savoir-vivre. Avec ou sans cette fausse "controverse" sur son passage, il est évident que Paul McCartney aurait dit quelques mots en français, comme les Beatles l'ont fait lorsqu'ils ont joué à Paris en 1965. Mais les historiens se diront peut-être que cette réaction démesurée à un simple geste de politesse montrait à quel point les Québécois, contrairement à leurs notables, comprenaient le sens réel du 400e: la naissance d'un peuple et d'une nouvelle culture de langue française en Amérique qui, à force de résistance, déboucherait plus tard sur celle de la nation québécoise. Dommage que les notables n'en aient pas fait leur message principal face au reste du monde.

Mais il restera toujours la business. Le concert parfaitissime, ayant coûté près de 5 millions $ en fonds publics, profitera aussi aux diffuseurs privés auxquels un abonné peut payer 20 $ pour le privilège de le voir dans son salon. Les contribuables auront beau avoir réglé la facture salée de Monsieur McCartney – la chose étant normale dans ce contexte -, ils n'auront même pas droit à une diffusion gratuite! L'insulte est d'autant plus sentie qu'on ne parle pas ici d'un concert de Barbra Streisand au Centre Bell payé par des fonds privés, mais d'un "événement" du 400e payé par les impôts. Faut croire que l'esprit "festif" profite plus à certains qu'à d'autres.

Et puis, dans la catégorie "chicane de perron d'église", il y aura la plus bizarroïde des retombées post-McCartney: celle d'une Céline Dion profondément agacée de se voir maintenant "comparée" à l'ex-Beatle. Il fallait voir les couteaux lui sortir des yeux lorsqu'un journaliste lui a demandé si SON spectacle sur les Plaines serait "plus long" que celui de Sir Paul!

DUR, DUR DE NE PAS ÊTRE UNE BEATLE

La voilà donc, fille prodigue du Québec, SA PLUS GRANDE VEDETTE INTERNATIONALE, brutalement détrônée par un bel "étranger" à qui une seule nuit aura suffi pour séduire le Québec tout entier! Pis encore, voilà que son propre mari en rajoute: "Paul McCartney est dans une classe à part. Il n'y a personne qui touche à Paul McCartney dans mon livre à moi /sic/. Pas les Rolling Stones, pas U2, pas Madonna. Et CERTAINEMENT PAS CÉLINE DION!" La discussion sur l'oreiller n'a pas dû être très douce ce soir-là…

Et pourtant, Céline a bien appris le message officiel du 400e. Lorsqu'on lui a demandé si elle venait ici le 22 août pour "faire l'histoire", sa réponse fut du plus pur style Labeaume: "Écoutez! Moi, je ne parle pas vraiment d'histoire. Je parle de fête!" Évidemment.

Mais j'oubliais. Il n'est plus permis, sans se valoir les pires épithètes, de trouver Paul McCartney bien bon et d'être bien content pour tout le beau succès de Québec tout en voulant néanmoins, et d'autre part, débattre de l'absence de sens historique de ce 400e.

O.K., d'abord! Soyons cool, soyons le fun, soyons festifs! De toute façon, du moment où même le premier ministre du Québec ajoute sa voix à celle d'Ottawa pour dire au monde entier que 1608 marque la fondation du Canada, il est tout à fait normal que le spectacle de Paul McCartney, aussi génial fut-il, soit le moment le plus marquant de notre 400e…