Voix publique

Baguettes chinoises

Je vous le dis franchement et je vous le dis tout de suite: les Jeux olympiques, ça ne m'a JAMAIS intéressée. Que ce soit la Moscou boycottée ou même la Montréal surendettée de 1976, je préfère laver mes planchers plutôt que de me taper la compétition de ceci ou de cela en différé à 4 h 10 du matin.

Pourtant, Pékin, c'est une autre histoire. Pas tant pour le lancer du Tibétain, le triathlon du dissident, le judo du journaliste sur Internet ou le plongeon du Darfour dans l'indifférence généralisée.

Non. Ce qui me fascine, mais ne surprend guère, c'est l'hypocrisie quasiment érigée en discipline olympique. À commencer par celle de Stephen Harper.

Voilà que le premier ministre refuse d'assister aux cérémonies d'ouverture des Jeux tout en jurant dur comme fer sur ses projets de loi visant à restreindre la liberté d'expression au Canada que cela ne constituait toutefois pas un "boycottage politique". Faisant du boudin ou jouant à cache-cache, Harper a même poussé le ridicule jusqu'à se déclarer "introuvable" à Ottawa pendant les premiers jours des Jeux.

On savait que le gouvernement conservateur était un repaire d'amateurs dans le domaine des relations internationales – allô Maxime Bernier! -, mais là, la preuve est finale.

Pas que la critique du régime chinois ne soit pas de mise. Car elle l'est. Mais de voir le PM du Canada bouder Pékin, et donc la Chine, alors que même W. Bush s'y est rendu, laisse croire que Harper comprend peu ou fort mal la réalité économique et politique mondiale de ce début de 21e siècle où la Chine est appelée à jouer un rôle majeur. Lorsque le fils Bush comprend quelque chose, imaginez à quel point la chose peut être évidente.

RETOURS D'ASCENSEUR

Même Jean Charest y était en mission et y retournera plus tard cet automne. Ce n'est toutefois pas seulement pour l'amour des relations Québec-Chine que M. Charest courtise maintenant l'Empire chinois. Tout ça fait évidemment partie de sa stratégie préélectorale et du nouveau personnage plus "international" qu'il tente de se forger. Si le premier ministre québécois évite toute vague ici, il aime bien s'activer, semble-t-il, à l'étranger…

Disons que ce nouvel intérêt pour la Chine répond également aux demandes faites auprès de lui par certains gros joueurs parmi les entreprises québécoises pressées d'y brasser de grosses affaires et de gros profits. Et comme le milieu des affaires est un allié naturel du PLQ et que les libéraux vont plutôt bien dans les sondages, on se retourne l'ascenseur jusqu'en Chine.

À Ottawa, par contre, on ne sait plus vraiment qui gère la boutique des relations extérieures, ni comment. Boycotter la cérémonie d'ouverture des Jeux à Pékin tout en niant que c'est un boycottage, bravo.

L'hypocrisie, elle est aussi dans le double discours: celui de l'absence de Harper à Pékin et celui de la business que le Canada et les Canadiens font pendant ce temps avec la Chine. Et feront de plus en plus. Ce n'est pas demain la veille qu'Ottawa ordonnera la fermeture des Dollarama a mari usque ad mare!

Il faut aussi voir la popularité croissante, dans de multiples compagnies canadiennes et québécoises, des consultants spécialisés en relations avec la Chine. Sans compter la multiplication des cours de mandarin dans les collèges et les universités. Le ou la sinologue est également en voie de devenir une espèce particulièrement prisée par les décideurs politiques et économiques.

La Chine est là. Et Harper ne la fera pas disparaître d'un coup de baguette magique… ou chinoise.

SOUPE TOXIQUE

L'hypocrisie, elle est également dans cette "surprise" généralisée face au niveau de pollution à Pékin et dans d'autres régions de la Chine. S'il y a des athlètes étrangers forcés de porter des masques lorsque le smog se fait trop étouffant, c'est que des Chinois y sont soumis à longueur d'année. Vous épelez ça comment, C-A-N-C-É-R-I-G-È-N-E?

Et s'ils y sont soumis, c'est non seulement pour assurer la puissance économique montante de la Chine, mais aussi pour fournir le reste de la planète en produits à des prix auxquels les consommateurs ne peuvent résister, ou n'ont pas les moyens de le faire. Pendant que Stéphane Dion et Stephen Harper s'obstinent sur une taxe sur le carbone pour le Canada, on macère ailleurs, et pas seulement en Chine, dans une bien drôle de soupe toxique.

Chaque fois qu'on achète un produit Made in China – et j'en suis, comme tout le monde, la chose étant incontournable -, qu'on le veuille ou non, quelques gouttes de ce smog nous collent symboliquement aux doigts.