Voix publique

Attachés culturels

Stephen Harper ne le sait pas, mais ne touche pas aux subventions à la culture qui veut. Et avec raison. Le Canada n'est qu'un petit marché dans les faits. Sans l'argent des contribuables, de nombreuses créations ne verraient jamais le jour.

Première prise: son projet de loi décrié visant à ne pas subventionner les films allant à l'encontre de l'"ordre public". Deuxième prise: l'abolition prochaine d'un programme de 4,7 millions de dollars permettant à des artistes de se produire à l'étranger, si Ottawa les juge trop "radicaux" ou "marginaux". Des grenailles pour le budget fédéral, mais des sommes vitales pour les artistes.

Les artistes ne sont toutefois pas les seuls à être pointés dans ce programme par les nouveaux puritains d'Ottawa. Ce qui serait déjà inacceptable. Il y a aussi des intellectuels. Et là, c'est carrément à la liberté de pensée et à son expression publique que les conservateurs s'attaquent. C'est que le gouvernement Harper aurait été traumatisé d'apprendre que de l'argent public soit allé, entre autres "radicaux", à Avi Lewis. Attention: ce "cas" braque les projecteurs sur tout ce qui horripile ces conservateurs.

Pour eux, Lewis, ainsi que tout ce qui grouille et scribouille "à gauche", est une aberration intellectuelle. Marié à l'auteure Naomi Klein et petit-fils d'un ancien chef du NPD, Lewis est surtout un des meilleurs analystes et communicateurs progressistes du Canada anglais. Gros problème. Pour lui.

Disons-le crûment: on ne saurait donner une définition plus précise de la censure que de priver un artiste ou un intellectuel d'argent public pour la seule raison que ce qu'il exprime ne s'inscrit pas dans la pensée du gouvernement du jour, quel qu'il soit. Ce serait attacher la culture et la pensée à une vision, et non à une autre. C'est en cela que ce genre de compressions constitue un puissant signal d'alarme. Et c'est pour cela que leur caractère grossièrement idéologique est dénoncé. Si Harper fait ce qu'il fait en étant minoritaire, dur de l'imaginer avec une majorité…

Mais il n'y a pas que de l'"idéologie" dans cette soupe indigeste. On y voit aussi une nouvelle preuve que Harper, le "stratège brillant", perd de plus en plus son aplomb stratégique. En fait, depuis qu'il a laissé tomber Brian Mulroney comme un sac de patates pourries dès que Karlheinz Schreiber s'est pointé, le PM semble déstabilisé et il accumule les bourdes. Comme Paul Martin l'avait fait pour Jean Chrétien avec ses commandites, en jouant à Ponce Pilate face à un prédécesseur encore très influent, Harper a montré que sa réputation de grand stratège était peut-être surfaite.

Ce qui nous ramène à la censure et aux compressions. Vue froidement et de manière strictement analytique, l'erreur fut d'y procéder alors que les sondages ne donnent toujours pas aux conservateurs l'espoir de former une majorité. L'impatience est une faiblesse. À l'aube d'une campagne électorale, Harper offre ainsi un cadeau en or aux libéraux de Stéphane Dion. Il confirme une fois de plus que le PC est dominé par son aile "réformiste" de l'Ouest canadien, qu'il souffre par conséquent d'un important biais idéologique néo-conservateur et que ce biais serait impossible à contenir s'il obtenait une majorité.

Harper risque gros en méprisant également son adversaire principal. Car s'il veut en découdre au plus vite, c'est qu'il croit Dion incapable de gagner des élections générales. Le PM exprime aussi ouvertement son mépris pour le Parlement. Traitant les comités parlementaires de "cirques", alors que son bureau a tout fait pour en déstabiliser le fonctionnement, le PM en vient à faire passer les députés, dont les siens, pour des clowns. Et la démocratie, pour une farce. Autre bourde: cette histoire de "in and out", où le PC aurait fait transférer des fonds électoraux locaux dans sa caisse nationale, fait perdre à Harper son air de Monsieur Net face aux libéraux autrefois pris dans la jarre à biscuits des commandites. Avec un bilan faiblard en environnement et une politique étrangère hautement critiquée, c'est à se demander où peut bien se cacher le grand stratège du 24 Sussex Drive?

SECRETS DE POLICHINELLE

Le 21 juin, sur mon blogue, j'écrivais que Philippe Couillard serait sûrement récompensé pour avoir accéléré l'ouverture au privé du système de santé. C'est chose faite. Il se joint à Persistence Capital Partners (PCP), le premier fonds d'investissement privé en santé au Canada.

Deux petits mois après être sorti de cinq années d'accès à des informations privilégiées comme ministre de la Santé, le tout dégage un parfum de conflit d'intérêts. Et comme PCP est une société en commandites, Le Devoir rapporte qu'on ne peut savoir qui sont ses investisseurs, ni si le Dr Couillard y est salarié, actionnaire ou contractuel.

Notons tout de même qu'il se joint à PCP aux côtés du Dr Sheldon Elman et de son fils Stuart, fondateurs de Medisys. Medisys est une méga entreprise privée de soins de santé fondée en 1987, dont les services sont achetés à travers le Canada autant par des corporations, que par des particuliers, des gouvernements et des compagnies privées d'assurance. Philippe Couillard atterrit donc confortablement dans d'épais coussins de velours. Et il le fait en demeurant dans la filière libérale. L'ancien sénateur Leo Kolber – collecteur de fonds émérite pour le PLC – était du conseil d'administration de Medisys. En 2004, on rapportait même que Sheldon Elman était le médecin personnel de Paul Martin.

Membre du prestigieux C.D. Howe Institute, le réputé Dr Elman siège aussi au C.A. du Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal (CEIM) aux côtés d'Hélène Desmarais de la famille Desmarais. Laurent Beaudoin, de Bombardier, André Caillé et Paul Desmarais Jr y siègent au conseil des gouverneurs. (CEIM favorise la création de compagnies, entre autres, dans le secteur des "sciences de la vie".)

Bref, même si le destin l'aura empêché de remplacer Jean Charest, Philippe Couillard part maintenant fort bien équipé pour se tailler une fort jolie place au sein du pouvoir politico-financier canadien.