En politique, les idées comptent. Bien entendu. Mais dans la chasse au pouvoir, les programmes et les chefs de parti sont aussi des produits qu'on vend aux électeurs, un peu comme des boîtes de savon.
Pas étonnant donc que les machines politiques s'inspirent des dernières techniques de marketing. On en verra sûrement de succulents exemples tout au long de la campagne électorale fédérale qui nous pend au bout du nez. Mais rien n'arrivera ici à la cheville de Barack Obama dans l'art d'appliquer la technique dite du storytelling. À un point tel qu'Obama suscite l'admiration des plus grands gourous du marketing d'Europe et d'Amérique!
L'objectif du storytelling est d'amener l'acheteur potentiel à s'identifier à un produit ou à une compagnie en lui racontant une "histoire" dans laquelle il se reconnaîtra. Par exemple, en parlant des débuts difficiles ou de l'audace d'une compagnie, on crée un lien émotif et une identification entre l'acheteur et le produit. C'est ce que Microsoft et Apple ont fait.
En politique, le storytelling est l'ouvre d'un chef et de ses conseillers. C'est une construction, un savant mélange de faits et de fiction imagée, une histoire prenante, mais facile à comprendre, à retenir et à répéter. Le chef raconte SON histoire à satiété, laquelle est reprise par ses proches, ses candidats et même les journalistes. En bon storyteller, Obama raconte aussi les histoires des électeurs qu'il rencontre – celle d'un chômeur, de la mère d'un soldat envoyé en Irak, d'un enseignant sous-payé, d'un enfant sans assurance-santé. Mais le message demeure le même: les détails de nos vies diffèrent, mais au fond, MON histoire est VOTRE histoire, JE suis comme VOUS, MES valeurs sont VOS valeurs. Bref, votez pour MOI parce que, dans les faits, je suis VOUS et vous êtes MOI.
LA POLITIQUE DE L'EMOTION
Dans le cas d'Obama, le storytelling atteint des sommets inégalés. L'homme se raconte à tous vents. Se préparant de longue date, il se racontait déjà d'ailleurs dans ses livres Dreams of my Father et The Audacity of Hope.
Sa femme Michelle en est maintenant un instrument privilégié. Avocate, elle en est de plus en plus réduite à décliner une histoire d'épouse aimante, de mère parfaite, de fille et de sour exceptionnelle. Lundi soir, son discours à la convention démocrate tenait plus du Oprah Winfrey Show que d'un événement politique. Peu de contenu, mais de l'émotion pure et des histoires sur sa rencontre avec Obama, de leur amour, de leurs filles, de son père décédé jeune d'une grave maladie, etc. Le sirop coulait à flots.
Ce choix du storytelling n'est pas anodin. Il peut être un outil de vente puissant aux États-Unis, là où la vie privée des politiciens, incluant même leur vie sexuelle, est vue comme étant d'intérêt public.
Surtout, Métis à la peau noire et au nom exotique, fils d'un père africain élevé à Hawaii, beau-fils d'un Indonésien, soupçonné d'être musulman comme si c'était un crime et néanmoins diplômé en droit de Harvard, Obama est tout sauf un Américain ordinaire auquel l'électeur moyen pourrait s'identifier facilement! Il a donc ramé fort pour représenter SON histoire comme étant non seulement celle des électeurs, mais aussi des ÉTATS-UNIS – ce melting pot où tout citoyen, quelle que soit son origine, doit pouvoir réaliser le AMERICAN DREAM! D'où cette phrase-clé répétée par Obama, sa femme et ses supporteurs telle une incantation: "Barack Obama's story is an American story". Message: mon histoire est la vôtre et celle du pays lui-même. Traduction pour les racistes ouverts ou discrets: je suis noir, mais ne craignez rien, je suis de la famille!
Obama a fait du "changement" son thème central, mais une énorme contradiction crève les yeux. Dans sa quête d'identification, il fait aussi reposer SON histoire sur celle de sa FOI, de sa FAMILLE et de son PATRIOTISME, soit le portrait-robot des valeurs américaines les plus conservatrices. Pour vendre le changement, Obama s'est fondu dans la masse évangélico-américaine! S'il demeure pro-choix et pour un système de santé moins sauvage, il a adouci et même renversé certaines de ses positions, s'est beaucoup rapproché des lobbys religieux et peine parfois à exprimer une politique étrangère audacieuse.
Voyant le tout, la plupart des experts décrivent Obama comme un pragmatique cherchant seulement à rassurer les électeurs de droite. Le problème est toutefois qu'à force de modifier ses positions et en mettant autant l'accent sur le storytelling personnel, ses idées paraissent de plus en plus floues.
ET ICI?
Heureusement, au Canada et au Québec, rares sont les politiciens qui recourent à un storytelling aussi personnalisé. Leur vie privée est considérée comme tel, sauf si elle affecte leur travail, comme dans le cas de Maxime Bernier. Franchement, on imagine mal un Stephen Harper nous raconter, les larmes aux yeux, son premier baiser avec sa femme…
Mais, attention. La tentation est toujours là pour les conseillers. L'an dernier, Stéphane Dion et sa femme, vus comme étant tout sauf du monde ordinaire, racontaient à certains magazines leur histoire de couple. Tentant de briser son image bourgeoise avec son propre message de type "JE suis comme VOUS", Pauline Marois publiait récemment un livre sans grand contenu politique où elle racontait SON histoire, celle de sa relation de couple et de sa vie de famille.
Fait à noter: ces deux tentatives ont eu zéro impact sur les intentions de vote. Comme quoi, ici, on préfère encore laisser le storytelling personnel aux "vedettes" plutôt qu'aux politiciens. Un bon signe, tout de même…
Dans la religiosité politique c’est la politique qui se réalise pas la religion.
Et le mythe du rêve américain sert bien des ambitions aux États-Unis.
La contradiction politique du rêve américain est que si la société repose exclusivement sur les épaules des individus à quoi diable l’État peut t’il servir encore? Les démocrates favorisent en principe l’intervention de l’État dans la société mais en usant à ce point du mythique rêve américain ils se contredisent absurdement. La récitation de Michele Obama a été effectivement l’équivalent d’un soap de fin d’après midi parfaitement dégoulinant de bons sentiments racontant le parcours d’un « homme impeccable ».
Or, si la société américaine selon l’american dream depuis 230 ans est le résultat essentiellement des efforts faits par des hommes impeccables. Pourquoi diable, les politiciens et leurs partis par des décisions et des projets s’occuperaient t’ils d’améliorer la vie de ces millions d’américains qui ne sont capables que d’être des gens ordinaires!
Il y a malgré tout une notion de bien commun aux É.U à cause de l’idée de démocratie mais elle est toujours mise à mal par le recours mythique à l’homme d’exception qui caractériserait ce que doit être le pays U.S.
Au Québec, les excès de la religiosité politique sont impossibles. Pas de religion politique ici. Tout est au point mort. La preuve, les « sondages » nous suggèrent de PROCURER des gouvernements majoritaires aux Charest et Harper! C’est que cet autre extrême qu’est l’ennui politique est également un vice.
Comment prendre la politique au sérieux après pareil cinéma.
Comme je le fais depuis des décénies, je voterai, en signe de protestation, pour le cadidat le moins suceptible de remporter la victoire. Aux dernières élections, mon cadidat, que je ne connais pas personellement, a reçu trois voix : lui, sa mère et moi. La solidarité. Y a que cela qui compte.
Ici, nous n’avons peut-être pas le « storytelling » mais on carbure à l’approche « people ». Pas sûr qu’on s’intéresse plus au contenu des politiques de nos candidats que les Américains ou les Français peuvent le faire. Eux, ce qu’ils aiment, c’est de pouvoir s’identifier à Carla et Nicholas ou à Barack et Michelle. Nous, ce qu’on veut savoir, c’est comparer notre sauce à spaghetti avec celle de Pauline ou de savoir si Stéphane tond sa haie de cèdres avec la même rigueur que nous.
Jean Charest a très bien compris cette approche. Au lieu de devenir le dindon de la farce d’Infoman, on sent que c’est lui qui utilise de plus en plus l’émission pour lui-même. Il court tous les tournages, de Sucré-Salé à Des Kiwis et des Hommes à Tout le Monde en Parle. Il a compris que les Québécois aiment voir leurs politiciens la cravate dans le tiroir et qu’on le trouve plus crédible à discuter avec Guy A. qu’avec Bernard Derome. Ce qu’on veut savoir, c’est qu’il peut comprendre une « joke » de Ti-Coune aussi bien que de faire passer une loi impopulaire.
J’en fais de l’urticaire. Mais, en même temps, on a les politiciens qu’on se mérite. À force de répéter qu’on se fout de la politique, les politiciens l’ont compris. Et au lieu de nous expliquer en long et en large leur opinions politiques, ils se présentent à nos épluchettes de blé d’Indes en nous montrant comment attraper une pomme dans un bac d’eau avec les mains derrière le dos. Et après ça, on viendra se plaindre qu’on n’a pas voté pour ça quand un politicien nous en passe une p’tite vite…
Cet intéressant billet que vous nous présentez, Madame Legault, me rappelle étrangement les premières paroles surréalistes de la chanson « I Am the Walrus » écrite et chantée par John Lennon en 1967 sur l’album Magical Mystery Tour des Beatles:
« I am he as you are he as you are me and we are all together »…
Étonnamment en avance sur son temps, à ce que l’on peut constater.
Comme souvent, je suis d’accord en grande partie avec votre propos. Mais il me semble que vous minimisez l’importance de certains éléments de ce discours d’Obama. Il a osé attaquer l’idée erronée (qu’on nous ressasse ici jusqu’à plus soif aussi) qu’il faut toujours favoriser la création de la richesse (et les plus riches) pour que la prospérité redescende vers tous. En fait, les preuves abondent à l’effet que la richesse se concentre entre les mains des plus riches et que les inégalités se creusent.
Il manifeste sa volonté de fermer les paradis fiscaux (Now, many of these plans will cost money, which is why I’ve laid out how I’ll pay for every dime – by closing corporate loopholes and tax havens that don’t help America grow.). C’est carrément révolutionnaire dire ça. C’est majeur.
À travers le «storytelling», il a livré quelques éléments comme ça qui sont étonnants, courageux, nettement progressistes et dont la portée ne doit pas être négligée.
Ceci dit, je ne me fais pas d’illusion sur ce qu’un Obama pourra faire une fois élu dans ce pays. Je vous invite à lire un article que je signe à ce sujet dans la revue Relations (no. de septembre 2008) sur le financement des campagnes.
Les américains aiment beaucoup le » storytelling » , les émotions et La petite maison dans la prairie , mais quand viendra le moment de voter, le conte de fée de Barak et son épouse n’aura pas l’avantage sur la couleur de leur peau !
Lors des deux dernières élections américaine je ne crois pas que le » storytelling » était au rendez-vous avec Bush fils ! La dernières élection entre autre s’est fait sur la peur et le souvenir de 11 septembre . La vie sexuelle de Bush n’était sûrement pas le » talk of the town » comme l’histoire de Clinton et de sa chère amante .
Ici au Québec et au Canada avons nous réellement des politiciens pour alimenter ce genre de can-can ? La vie sexuelle de Harper ou de Madame Marois n’intéresse personne . En fait le seul moment ou la sexualité d’un politicien a eu un impact c’est avec Boisclair , et nous avons vu que le Québec est encore assez rétrograde en la matière !
Un noir a la présidence américaine et un pédé comme PM Québécois relève de la pensée magique !
Chère Mme. Legault : vous avez mis le doigt sur un des aspects essentiels des campagnes politiques étasuniennes. Cependant, il me vient à l’esprit l’idée que les électeurs, même s’ils aiment se faire raconter des histoires et perpétuer «the American dream», ils ne sont pas tous aussi naïfs pour croire que l’histoire de la réussite de Obama et Michelle est accessible`a tout monde. N’importe quel travailleur comprend que les deux «héros» étaientd’abord très intelligents, et qu’en suite ils ont eu des prêts et des bourses d’excellence, et que grâce à leur intelligence et ténacité, ils ont réussi. En fait, l’histoire avec laquelle les stratèges pensent captiver les électeur, reste une histoire pour rêver à un monde meilleur. Il y aura beacoup plus de gens qui n’avaleront pas cette fiction collective que des rêveurs crédules, et j’espère que les politiciens et leurs conseillers seront un jour obligés de modifier leurs tactiques. De plus, on voit bien que ces histoires masquent une absence totale de vraies idées et de nouveaux projets, ainsi que d’une réelle volonté de changement. La pauvre Michelle a été obligée de se cantonner dans son image de bonne maman et d’épouse romantique du grand homme, et de passer sous silence la profession et la carrière qui inspirent sa vie. Quelle mascarade !
Maouka Langlois
Moi je trouve très interessante cette façon d’analyser le circus mediatique soulevé par Obama ou Mc Cain.
Josée Legault , je vais donc écrire à TF1 pour que vous remplaçiez illico PPDA qui s’en va , pas très loin d’accord , mais suffisament pour qu’on s’en emeuve dans des medias de haut niveau comme Bonne Soirée , Confidence, Intimité ou Ici Paris.
La France ne reste pas à l’ecart de ce tsunami emotionnel. Puisque Carla pose carrement à poil , tandis que Nicolas telephone pendant qu’il est reçu par Benoit XVI .
Je ne plaisant pas , ici tous les journalistes sont en emoi , par l’aura commercialistique que degage Obama. Et même Le Figaro voterait Obama s’il en avait le pouvoir et le droit.
Nous avons subi des debats de plus de deux heures pour nous indiquer ce qu’était cette révolution titanesque qui se preparait , avec quatre paires de journaleux US qui enthousiasmes par notre fougue à nous français , issus de l’ENA , d’HEC , ou de Sciences Po ont bien voulu nous expliquer les finesses des meca
niques mises en oeuvre. Tous les medias sont seduits.
Comme je n’avais pas d’idée preconçue , je penchais plutôt pour le noir , le blanc me paraissant plutôt « mechant ». Le noir , « gentil ».
Et que cette analyse m’a rappelé à la raison.
Ce qui fait que les canadiens ont bien de la chance. Car ils ont des journalistes critiques plus que nous n’en aurons jamais , enfin nous on en a bien quelques uns , mais ils parlent pas « dans la radio ou a la tele ».
Ah oui j’oubliais ici en France on discutte pendant deux heures et à la fin les journalistes americains nous disent qu’Obama n’a aucune chance… Comme quoi çà fait passer le temps.
Merci madame Legault.
Quelques mots seulement pour dire que, « storytelling » ou pas, Barack Obama pourrait probablement se mettre à danser la claquette et l’emporter haut la main si son adversaire républicain, John McCain, continue d’afficher le manque de jugement que révèle le consternant choix de sa colistière Sarah Palin.
Avec autant d’expérience politique qu’une mairesse de petit village, des positions apparemment très retrogrades sur tout, on n’ose imaginer où notre pauvre planète perpétuellement malmenée de tous côtés risquerait d’aller s’échouer si par malheur quelque chose devait arriver à un John McCain devenu président…