Voix publique

Le choix

Vous trouvez la campagne plate, sans enjeux? Alors qu'on amorce son dernier droit, un enjeu global se distingue pourtant, ici et au Canada anglais: pour ou contre la vision ultraconservatrice du gouvernement Harper?

Sans faire dans la dentelle, l'auteure Margaret Atwood le résumait ainsi dans le Globe & Mail. Comparant le régime Harper à de la "graine de dictature" dirigée par un chef souffrant du "culte de la personnalité", elle débutait son article avec la question suivante: "Dans quelle sorte de pays voulons-nous vivre?".

Au Québec, tentant de faire diversion sur cet enjeu central, Stephen Harper suit le conseil de son mentor, Tom Flanagan, et imprime un virage tactique important. Face à des sondages montrant la possibilité d'une majorité conservatrice grâce à l'Ontario et la Colombie-Britannique, Harper invite les Québécois à voter PC pour faire partie du POUVOIR. Son message: ne restez pas sur le trottoir à regarder passer la parade. Joignez-vous à nous!

Ce message s'ajoute à celui qu'il adresse maintenant à tous les Canadiens: en pleine incertitude économique, donnez-moi un "mandat fort", et je saurai mieux vous protéger que Stéphane Dion ou Gilles Duceppe. Traduction: It's the economy, stupid! Mais là aussi, c'est un message dont l'objectif est de détourner l'attention des enjeux plus idéologiques de l'élection.

C'est que Harper tente surtout de contrer la menace potentielle du Anybody-but-Harper, un mouvement informel qui monte à travers le pays et dont personne ne peut encore prévoir l'impact le 14 octobre prochain. Ce que Harper sait, par contre, c'est qu'au Québec, les arguments des Anybody-but-Harper grugent des appuis au PC. Même s'il n'achète pas TOUS leurs arguments, l'électeur a maintenant l'embarras du choix pour le motiver à ne pas voter PC: compressions dans la culture; recul possible des droits des femmes; l'Afghanistan; emprisonnement à vie pour des contrevenants de 16 ans; inaction sur l'environnement; appui passé de Harper à l'invasion de l'Irak; une philosophie pro-marchés à un moment où ils s'écroulent à Wall Street justement parce que Washington ne les a pas réglementés; l'influence des lobbys religieux auprès du gouvernement, etc. You name it!

UN CABINET D'AUTOMATES

Le discours Anybody-but-Harper dérange aussi les conservateurs parce qu'il neutralise en partie leur propre argument du "pouvoir". Car si des électeurs s'opposent à la vision Harper, pourquoi voudraient-ils envoyer des députés pour la renforcer de l'intérieur? Être présent au Conseil des ministres, mais pour faire quoi? Des électeurs s'interrogeront sûrement aussi sur le pouvoir réel de ces ministres alors que de toute évidence, le cabinet Harper est le plus contrôlé par son PM, et donc le moins décisionnel, qu'ils auront vu de leur vivant. Si tout est télégraphié du bureau du PM, à quoi servent les ministres, qu'ils soient ou non du Québec?

De fait, des sondages montrent que même des ministres comme Jean-Pierre Blackburn ou Michael Fortier seraient menacés de ne pas gagner dans leur comté! Comme quoi, l'argument du "pouvoir", s'il peut encore prendre d'ici l'élection, ne pèse pas lourd pour le moment.

POUVOIR VS CONTREPOIDS

Même dans la ville de Québec, un sondage tout chaud Axiome Marketing/CHOI RadioX (échantillon de 500 résidants et marge d'erreur de 4,38 % 19 fois sur 20), montre le Bloc à 35,4 % et le PC à 36,1 % – un véritable coude à coude. Ce sondage contredit le Léger Marketing plaçant le PC à 43 % et le Bloc à 29 %. Mais comme il ne porte que sur la ville et non la région, c'est tout de même un son de cloche inquiétant pour Harper. Mais, bon. Le "vrai" sondage, comme on dit, sera le 14 octobre.

Pour plusieurs Canadiens, le choix sera donc clair: faire partie du POUVOIR en sachant ce qu'il véhicule comme valeurs, ou voter pour l'opposition pour y faire CONTREPOIDS. Au Québec, la remontée du Bloc est d'ailleurs le fruit des appuis de sa base souverainiste et du vote non-conservateur. Car, dans les faits, la souveraineté n'est PAS un enjeu dans cette campagne. Le PQ en a décidé lui-même en remisant le référendum au placard.

Bref, si Harper est privé d'une majorité, ce sera parce que le message des Anybody-but-Harper aura été compris par une majorité de Canadiens, lesquels sont surtout de centre ou de centre-gauche. Mais même si Harper obtient une victoire majoritaire, un contrepoids le plus fort possible dans l'opposition serait d'autant plus essentiel. Cette fois-ci, le Bloc serait plus qu'une force de "blocage". Il serait un contrepoids idéologique, au même titre que le PLC et le NPD. D'où l'importance de se souvenir de ces mots de Tom Flanagan: l'objectif à terme de Harper est de remplacer le libéralisme par le conservatisme comme philosophie politique dominante au Canada. C'est ça, l'enjeu.

Par conséquent, une fois dans l'isoloir, chaque électeur se demandera: est-ce que je veux contribuer à cet objectif, ou y faire contrepoids? S'il veut y contribuer, il votera PC. S'il veut le contrer, il votera pour le candidat ayant les meilleures chances soit d'empêcher un conservateur d'être élu, soit de défaire un député sortant du PC. C'est ça, le vote stratégique.