Voix publique

Un éléphant dans le magasin de porcelaine

Au fédéral et au Québec, le temps est venu d'enterrer le vieux cliché voulant que les campagnes électorales n'ont que peu d'impact sur les intentions de vote. Le fait est que depuis quelques années, le verdict rendu par les électeurs le jour du vote a jeté à la corbeille la plupart des prévisions faites par les observateurs et les sondeurs en tout début de campagne!

Une bonne chose, d'ailleurs. Je crois même qu'on appelle ça la "démocratie". Pour le moment du moins, fini le ronron petit patapon où, depuis les années 60, il était de mise à Québec et à Ottawa de voir deux grands partis s'"échanger" le pouvoir, fortement majoritaire évidemment, à chaque deux mandats.

Le 14 octobre nous dira si l'élection fédérale déclenchée par Stephen Harper produira, elle aussi, un résultat étonnant. Mais une chose est certaine: la campagne, elle, n'aura pas manqué de surprises!

UN BOUQUET DE SURPRISES

Prévision: ce sera une campagne d'image, sans grands enjeux. En effet, au début, le PC optait pour un remodelage radical de l'image de Harper en papa gâteau ainsi que pour une campagne négative à l'américaine contre Dion personnellement et le Bloc comme parti. Surprise: les compressions en culture ont pris force de symbole contre la vision conservatrice du chacun-pour-soi. Les artistes québécois les ont dénoncées avec une telle intelligence qu'ils ont produit un effet d'entraînement au Canada anglais. Signe des temps: si les artistes d'ici ne se mobilisent plus beaucoup pour la question nationale, ils n'ont pas hésité à le faire contre la vision Harper.

Même si le PM entendait faire du leadership LE thème dominant de la campagne, c'est la force de cette réaction qui a défini le premier enjeu de la campagne: pour ou contre la vision ultraconservatrice de Harper? Le tout accouchait ensuite d'un mouvement informel pancanadien baptisé Anybody-but-Harper. En fédérant les opposants à la vision conservatrice et en multipliant les manifs et les sites internet, ce mouvement est devenu une réponse à la politique harpérienne du "diviser pour régner". Tout comme il a déstabilisé son clientélisme chirurgical alors que ces mêmes compressions avaient été faites pour avoir le vote des Canadiens "ordinaires" que Harper cherchait à opposer à l'"élite" du pays.

Prévision: le Bloc va en manger toute une! Après avoir reconnu la nation québécoise, lui avoir donné une petite place à l'UNESCO et réglé une partie du déséquilibre fiscal, le PC ne ferait qu'une bouchée des "vieilles picouilles" bloquistes – pour reprendre la formule-choc de l'ex-ministre péquiste Jacques Brassard. Surprise: en canalisant au Québec le sentiment Anybody-but-Harper et en présentant le Bloc comme capable de stopper une majorité conservatrice, Gilles Duceppe a transformé le Bloc en miroir des consensus québécois. Mais surtout, il en a fait un contrepoids idéologique à la droite conservatrice. Même l'écrivaine Margaret Atwood a dit qu'elle voterait Bloc si elle vivait au Québec! Toute une métamorphose!

Prévision: Jean Charest ne se mêlera pas de la campagne. Surprise: il a confronté le gouvernement Harper à plusieurs reprises. Résultat: le Bloc et le PLQ sont maintenant des alliés objectifs dans la classique défense des intérêts du Québec, confinant le PQ et l'ADQ au rôle de simples spectateurs. En vue de sa propre prochaine élection, Charest s'est gonflé le muscle "nationaliste" en officialisant son divorce politique avec Harper. Très proche de Brian Mulroney, on murmure même dans les coulisses qu'en s'en prenant de la sorte au PM, Charest en aurait aussi profité pour lui faire payer l'humiliation subie par M. Mulroney lorsque Harper l'a laissé tomber dans l'affaire Schreiber comme s'il avait la peste…

Prévision: les débats n'auront aucun impact et Stéphane Dion est fini. Surprise: aux débats des chefs, contrairement à Harper, Dion avait bel et bien vu entrer l'éléphant de Wall Street dans le magasin de porcelaine de la campagne canadienne! Un éléphant imposant au point d'imposer l'ultime thème de cette fin de campagne: comment calmer l'inquiétude des Canadiens face à la crise financière américaine? Et vlan! Tout à coup, le CONTENU prenait le dessus sur la guerre d'image. Avec son plan d'urgence de 30 jours, Dion a offert du contenu, s'est bâti un capital de respect et a même réussi à faire reculer le PC dans les intentions de vote.

Bref, cette campagne ne s'est pas du tout déroulée comme prévu! Sans savoir si Dion réussira à convaincre plus d'électeurs du ROC de voter libéral plutôt que NPD ou Parti vert, il reste qu'au moment d'écrire ces lignes, on ne peut rien prévoir.

Et pourtant, après autant de chambardements, Harper fait encore le pari qu'en bout de piste, face au ballottage économique actuel, son message initial remportera la mise. Il espère qu'en ces moments troubles, suffisamment d'électeurs feront confiance à SON leadership pour qu'il puisse conserver le pouvoir et que les autres continueront à se diviser entre les partis d'opposition. Un pari risqué, mais pas impossible à relever.

À suivre le soir du 14 octobre. On verra enfin si cette élection produira, elle aussi, son lot de surprises…