Voix publique

Une démocratie malmenée

De tous les chiffres lancés au lendemain de l'élection, certains font plus mal que d'autres. Seulement 57,5 % des électeurs inscrits ont voté, soit une chute inquiétante de 10 % du taux de participation par rapport à 1997. (Au moment de mettre sous presse, le taux de participation était de 57,5%. Le taux final est de 59,1%.)

Le PC reste au pouvoir grâce à seulement 37 % des voix, alors que 63 % des Canadiens ont tourné le dos à la vision néo-conservatrice de Stephen Harper. Comme quoi le mouvement Anybody-but-Harper fut réel. Son problème fut sa division entre quatre partis. D'où son incapacité à défaire le Parti conservateur.

Résultat, compte tenu du taux de participation, le soutien réel au PC n'est que de 21%, et ce, même si le PC a augmenté son nombre de députés. Constatation incontournable: la démocratie canadienne sort de cette élection avec un méchant oil au beurre noir.

Et pourtant, Harper affirme avoir reçu un "mandat solide" pour poursuivre le programme de son gouvernement et se dit pleinement en mesure de "représenter les valeurs des Canadiens"… Fort de la division des partis d'opposition et de la faiblesse de Stéphane Dion, le premier ministre s'est donc réjoui de voir "la troisième élection consécutive où le Parti libéral – un jour appelé le "parti naturellement au pouvoir au Canada" – baisse quant au nombre de sièges" [sic]. (Note au PC: trouvez-vous des rédacteurs francophones, ça presse!)

TROIS INQUIETUDES

Malgré la victoire minoritaire du PC, on voit donc que la stratégie "étapiste" de Harper visant à profiter lentement mais sûrement de la division du vote non conservateur et de l'affaiblissement du PLC fonctionne. Du moins, pour le moment. D'où sa première inquiétude: d'ici la prochaine élection, en se donnant à terme un nouveau chef plus efficace, le PLC réussira-t-il à se remettre sur pied? Face au PM le plus à droite de l'histoire moderne du pays, c'est bien là le dernier espoir restant aux Canadiens anglais centristes ou de centre-gauche. (Note au PLC: En attendant la prochaine course au leadership, Stéphane Dion doit quitter pour permettre au PLC de se donner un chef par intérim capable au moins de tenir le fort à la Chambre des communes.)

Deuxième inquiétude de Harper: le Bloc. Malgré l'appel du chef conservateur à faire partie du conseil des ministres et tous les mamours qu'il a faits au Québec en brandissant sa sainte trinité de la "reconnaissance" de la nation, d'une place à l'UNESCO et d'un règlement partiel du déséquilibre fiscal, le Bloc a bel et bien "bloqué" une majorité conservatrice. Électoralement parlant, le Québec est devenu un État dans l'État canadien. La présence du Bloc à Ottawa est parfaitement légitime, mais Harper doit trouver que sa force commence à ressembler à la boutade d'Yvon Deschamps: un Québec indépendant dans un Canada uni! D'où le problème de Harper: que faire si ça se reproduit à la prochaine élection?

Troisième inquiétude: comment gouverner à SA manière? Contrôlant jusqu'aux moindres soupirs émanant de ses propres ministres, Harper doit se demander comment diable il fera passer sa vision au Parlement dans une situation appelant le compromis et la collaboration. Même si AUCUN parti d'opposition ne pourra repartir bientôt en élection, comment fera Harper pour imposer ses projets de loi les plus controversés si l'opinion publique finit par se lasser dans l'éventualité où il recourrait à nouveau à un usage répété des votes de confiance pour faire plier l'opposition?

DOMMAGES COLLATERAUX

La surconsommation de sondages. Jamais les médias n'ont eu autant recours à autant de sondages faits par autant de firmes et dont les résultats auront autant varié d'une compagnie à l'autre. Les électeurs ont donc été bombardés de données anormalement disparates et, dans certains cas, peu fiables. Et quand on sait que les sondages influencent une partie de l'électorat…

L'analyse politique. Selon la firme Influence Communication, l'analyse politique non partisane – par des chroniqueurs ou des politologues – occuperait de moins en moins de place dans les médias québécois. Pendant cette campagne-ci, il n'y aurait eu que 9 % d'analyses non partisanes, alors que des candidats à l'élection et des spin doctors officiellement ou officieusement attachés à un parti ont dominé l'espace médiatique. On est loin de la parité et il serait temps d'y voir. Même CNN offre à ses auditeurs un meilleur équilibre entre spin doctors et analystes politiques! Que les spin doctors vendent leur salade n'est pas un problème en soi. Ça fait partie de la joute démocratique. Mais il serait aussi important que les francophones aient à nouveau droit à plus d'analyses non partisanes de ce que contiennent lesdites salades. (La cerise sur ce sundae: même le député fédéral André Arthur a maintenant sa quotidienne à TQS! Comme confusion des genres, c'est dur à battre.)

Le respect et le civisme. Malgré des enjeux politiques et idéologiques pourtant importants pour l'avenir du pays, cette campagne fut la plus laide, la plus négative et la plus mesquine que les Canadiens aient vécue. Les stratégies de communication du PC, collées en partie sur celles du Parti républicain, y ont été pour beaucoup. De toute évidence, le tout a levé le cour de nombreux électeurs. Ce qui, j'avancerais, a justement contribué à produire un taux de participation extrêmement bas…