Voix publique

La réconciliation

Depuis des mois, un ami que j'adore répond au téléphone en martelant l'incantation suivante: "Barack Obama for President of the World!" Sa manière de dire que son élection aura un impact bien au-delà des États-Unis. En effet.

L'avenir nous dira si Obama saura répondre à certaines des attentes créées par sa victoire. Pour le moment, son élection semble marquer le retour à une certaine utopie. D'abord parce que l'élection du fils d'une mère blanche et d'un père noir né en Afrique à la présidence de la plus grande puissance du monde tient de l'expiation collective pour deux siècles de ségrégation raciale!

L'utopie obamienne réside aussi dans le rêve et l'espoir qu'elle suscite: change you can believe in. Obama redonne au mot "utopie" son sens le plus noble: celui de la prise d'un élan. En cela, elle rappelle celle d'un John F. Kennedy rêvant de conquérir la Lune tout en abolissant la ségrégation! Ce même Kennedy était, lui aussi, un démocrate, jeune, éduqué, charismatique et farouchement ambitieux pour son peuple malgré une période de tourmente intense, au pays et à l'international. Il dirigeait, oui. Mais inspirait surtout. Il ne fut pas un "sauveur", mais un instigateur de changement. Sa seule élection a déclenché une vague de changements à travers le monde, dont l'élan ne fut brisé que par le tandem Reagan-Thatcher et une vision ultraconservatrice que la crise financière actuelle vient de discréditer.

Mais l'utopie obamienne rappelle aussi celle de Nelson Mandela. Devenu président, il n'a pas "sauvé" l'Afrique du Sud. Mais il a mis son pays sur la voie de la réconciliation. La réconciliation interraciale, intercommunautaire et interétatique, entre autres. Et n'est-ce pas d'autant de réconciliation que les Américains ont le plus besoin? Après la ségrégation, le Vietnam, le 11 septembre, l'invasion folle de l'Irak et l'anti-occidentalisme que nous en avons tous récolté, les USA ont besoin d'un président capable d'écouter ses citoyens, mais aussi de pacifier la politique guerrière de W. Bush.

Quant à la politique intérieure, il gouvernera certes plus au centre qu'à gauche. Mais ce sera déjà une très grande amélioration après huit ans de Bush! Un bémol cependant: alors que ses énergies iront à la crise financière, réussira-t-il enfin à donner aux Américains un système de santé plus équitable?

INTERDIT DE REVER

Pas surprenant que nous ayons suivi la campagne américaine avec passion. Si ce n'était de sa portée universelle, on en serait presque jaloux… C'est qu'ici, ces dernières années, le rêve et l'espoir en politique ont plutôt mauvaise presse.

Prenez le 4 novembre. Pendant que les Américains faisaient la file pour voter, tremblaient d'excitation en récitant le mot change telle une prière et fracassaient leur taux anémique de participation, comprenant que cette fois-ci, leur vote changerait le cours de l'histoire, ici, c'était, disons, moins édifiant. Monique Jérôme-Forget présentait sa "mise à jour économique". Pendant qu'elle chantonnait son refrain jovialiste à la "tout va très bien, madame la marquise", Jean Charest se préparait à déclencher une élection, prétendant avoir besoin d'une majorité pour mieux protéger la même économie que sa propre ministre décrivait comme étant blindée!

Mais cette impression de vide ne date pas d'hier. En fait, depuis le dernier référendum, on a fini par convaincre les Québécois que le rêve et l'ambition de vouloir construire pour le bien commun serait une mauvaise chose. L'obsession du déficit zéro qui a suivi semble avoir fait de nous un peuple de comptables tranquilles. Du moins, en apparence. Car personne ne me convaincra que cette absence de rêve comble vraiment les Québécois. On se sent comme dans un passage à vide. Le bon côté, c'est que par définition, tout passage est temporaire. Espérons maintenant que la victoire d'Obama nous rappellera quelques évidences: que tout grand changement nécessite un leadership fort, éclairé et outillé pour susciter la création d'un véritable mouvement s'étendant au-delà des bases d'un seul parti; qu'une participation citoyenne massive est essentielle; qu'un plus grand respect est dû à la militance politique, dont nos médias préfèrent trop souvent se moquer.

Vous me direz que la création d'un pays n'est pas la seule ambition possible, ou que les Américains déchanteront si Obama ne livre pas la marchandise. Sûrement. Mais constatons que depuis 1996, aucun leader n'a su inspirer les Québécois à se dépasser, comme individus et comme société. Et ne me dites pas qu'un casino à Pointe-Saint-Charles, de super-hôpitaux virtuels, un port méthanier dont personne ne veut ou la réparation tardive de viaducs en ruine nous tiennent lieu de projet de société inspirant!

En cela, les Américains viennent de nous rappeler que, oui, les choses peuvent changer. Que, oui, il arrive un jour de nouveaux visages, de nouvelles intelligences, de nouvelles audaces, capables de se démarquer des establishments et des apparatchiks qui encrassent le processus démocratique.

En 1992, Leonard Cohen écrivait la chanson Democracy. Les prochaines années nous diront si ses mots étaient prophétiques:

"It's coming from the sorrow of the street. The holy places where the races meet (…) / It's here they got the range and the machinery for change (…) / Democracy is coming to the U.S.A."