Voix publique

La Mi-Carême

Avouez-le. Ça restera entre vous et moi. Vous regardez la campagne électorale défiler et vous n'en revenez pas. Pas possible de vous passer un sapin, même pas dans une élection hivernale!

On aura beau vous appeler à la vigilance citoyenne, impossible d'ignorer l'inutilité objective de cette élection hâtive, les plateformes interchangeables du PQ et du PLQ, ou ces trois chefs qui, pour le meilleur et pour le pire, sont dans les faits des politiciens de carrière. Conséquence: plusieurs seront tentés de ne pas voter. Ce qui, paradoxalement, profiterait au PLQ puisqu'il tend à être favorisé lorsque le taux de participation chute.

Alors, de guerre lasse, vous zappez peut-être entre RDI et LCN, pour atterrir finalement chez CNN. On ne s'en sort pas. Vous soupirez en voyant Barack Obama et vous vous dites: c'est quand, pour nous, cette impression que malgré les difficultés, on entre dans une ère plus emballante, axée sur le bien commun et portée par un leader inspirant, cultivé, confiant, sensible, bien entouré, patient, rationnel et calme?

Désolée, mais ce ne sera pas pour le 8 décembre 2008…

On m'accusera peut-être d'encourager le cynisme. Mais que voulez-vous? On ne peut pas faire passer des vessies pour des lanternes. De fait, autant l'élection fédérale présentait, à mon avis, un choix clair entre des visions opposées, autant celle-ci offre un choix limité entre un yogourt libéral avec des fruits déjà brassés et un yogourt péquiste avec les fruits au fond. Quant au yogourt adéquiste, prisé, semble-t-il, par les Bérets Blancs, on dirait bien que sa date de péremption est passée.

Vous me pardonnerez de me répéter, mais comme je l'écrivais la semaine dernière, les "visions" péquiste et libérale se ressemblant de plus en plus, cette élection appelle à choisir un bon gérant de boutique, à défaut d'un vrai projet de société. Et là-dessus, qui peut dire que Jean Charest ferait un moins bon gérant que Pauline Marois, ou vice-versa?

MASSACRE A LA SCIE

Bien sûr, vous direz que dans le département de la gérance, Mme Marois est coupable d'avoir obéi aux compressions à la tronçonneuse de M. Bouchard dans le système de santé. Mais elle ne fut pas la seule. En 1997, presque tout le Québec récitait en chour le petit catéchisme du grand consensus du déficit zéro, y compris certains leaders syndicaux qui mangeaient littéralement dans la main du premier ministre. M. Bouchard était certes pressé de faire autre chose que de s'occuper de souveraineté. Mais en tant que conservateur et père fondateur des "Lucides" après avoir quitté la politique, de sabrer dans les services publics était aussi un choix idéologique. Pour avoir été une des rares à en avoir fait une analyse critique au moment où j'écrivais pour Le Devoir, croyez-moi, il n'y avait point de salut hors du grand consensus.

Donc, oui, Mme Marois a péché, comme d'autres, en approuvant la mise à la retraite prématurée de 1500 médecins et de 4000 infirmières. Que 800 000 Québécois n'aient plus accès à un médecin de famille en dit long. Le pire étant toutefois qu'on semble avoir oublié ceci: avant d'être rendu dysfonctionnel par des compressions à l'aveuglette, le système public fonctionnait à merveille et, par conséquent, sa remise sur pied serait possible pour qui en aurait la volonté politique! Mais que Mme Marois affirme aujourd'hui qu'elle le "referait" dans des circonstances analogues, alors là, les bras m'en sont tombés. Heureusement que ce ne fut que métaphoriquement, sinon je me serais retrouvée cordée dans un corridor d'urgence…

C'est même à se demander si la chef du PQ comprend que, la nature abhorrant le vide, c'est en affaiblissant le système public que le PQ a pavé la voie à la montée du privé. Et c'est le gouvernement Charest qui, avec sa loi 33, garantit dorénavant aux cliniques carburant aux profits, comme Rockland MD, un élargissement continu du marché de la sous-traitance médicale. Le PQ a créé les conditions objectives pour plus de privé en santé alors que le PLQ en a accéléré le mouvement.

Cette incapacité de distinguer le PQ et le PLQ sur certaines questions majeures explique en partie l'impression que, malgré des luttes locales serrées, le PLQ voguerait vers une majorité comme sur un long fleuve tranquille. Rien n'est évidemment joué. Et il reste le débat des chefs – ce moment auquel les électeurs portent attention et où, surtout dans une campagne incolore, quelque chose d'aussi superficiel qu'une "gaffe" peut faire gagner ou perdre une élection. À moins qu'un chef ne surprenne par un contenu insoupçonné jusque-là…

Le débat des chefs est un événement en soi. Tombant en milieu de campagne, il est à la politique ce que la Mi-Carême est à la tradition catholique. Dans sa version plus moderne, cette fête marque le moment où, question de faire une pause des privations du Carême, certains se déguisent avec des costumes qu'ils ont préparés pendant des semaines. Ils défilent dans leur village et s'arrêtent dans les salons de leurs concitoyens pour festoyer. Le clou, c'est lorsque les villageois tentent de deviner qui se cache derrière les masques. Les costumés ne révèlent toutefois leur véritable identité que la veille de la messe.

Le débat des chefs, c'est notre Mi-Carême électorale. À une exception près: certains chefs ne dévoilent leur vraie identité qu'APRÈS la grand-messe du vote…