Voix publique

Le sens de l’État

Lorsque l'État perd tous ses sens, il est urgent que le sens de l'État soit rétabli. Prenez le cas du 250e de la bataille des plaines d'Abraham. Du moment où l'État fédéral, par le biais de sa Commission des champs de bataille nationaux (CCBN), perd ses propres sens en se l'appropriant pour en travestir la signification, le gouvernement du Québec, lui, doit retrouver son propre sens de l'État.

Bref, le temps est venu pour le premier ministre Jean Charest de se faire le porte-voix des nombreux citoyens qui, fédéralistes ou souverainistes, sont outrés de voir une agence fédérale décider unilatéralement de la pertinence même de "commémorer" le moment fort ayant pavé la voie à la Conquête en le banalisant dans le cadre d'une programmation épicée d'événements "festifs" présentés comme un must touristique! Un premier ministre ne peut se taire, car s'il le fait, il obligera ainsi ses citoyens à manifester eux-mêmes lors de ce 250e tenu sur leur propre territoire, contre leur gré et celui de la plupart de leurs élus.

Le 16 janvier, il est vrai que M. Charest annonçait son intention de ne pas y participer, disant que c'était une "initiative fédérale" dont il était "difficile de savoir ce qu'ils veulent faire". Et pourtant, la programmation et l'orientation de la CCBN étaient déjà connues. De fait, il était déjà passablement incongru qu'Ottawa s'occupe aussi prestement de marquer cette défaite sans avoir demandé le moindre avis à Québec. Mais que fait-on? Eh bien. On attend.

M. Charest peut se faire un ardent défenseur des intérêts du Québec. Toutefois, il y a quelque chose de franchement surréaliste à ce que son gouvernement attende de voir ce que le président de la CCBN, André Juneau, sonné par une controverse qu'il n'a même pas eu l'intelligence de voir venir, décidera de changer ou de ne pas changer une fois qu'il aura terminé d'en jaser avec quelques historiens plutôt qu'avec les élus du Québec! Quant au PQ, malgré une première chronique de Michel David sur le sujet parue le 8 janvier dans Le Devoir, il a mis 20 jours à réagir. Pour des politiciens se disant à la tête d'une nation, le réflexe n'est pas toujours très "national".

LES GROS SABOTS DE MONSIEUR JUNEAU

Si le Québec est une nation à ses yeux, M. Charest serait sage de signifier à Stephen Harper qu'au-delà des chicanes de juridictions fédérales-provinciales, décider de marquer ou de ne pas marquer 1759 doit être du ressort de Québec. C'est ici que 1759 a mené à la défaite. Et c'est ici que cette guerre sanglante de la Conquête a fauché 10 000 vies sur les 70 000 de l'époque. Nonobstant le présent, 1759 demeure une plaie profonde dans notre mémoire collective. Inutile d'y tourner le fer en faisant semblant de trouver ça "divertissant". Il y aurait sûrement de quoi se recueillir et réfléchir, mais dans le cadre de colloques organisés ici, de manière indépendante, et non par une agence redevable à un des ministères fédéraux les plus politiques: Patrimoine canadien.

RAPATRIER LES PLAINES

Le premier ministre doit également parler parce qu'il semblerait bien en effet que M. Juneau préparait une opération classique de propagande. En lisant le blogueur Alain Lavallée (quebec.blog.lemonde.fr), Le Devoir ou Le Soleil, on apprend que M. Juneau projetait ce 250e dès 1999 et qu'il se prévalait aussi du programme hautement politisé des commandites. En 2001, il aurait sollicité près d'un demi-million de dollars au ministre des Travaux publics de Jean Chrétien, Alfonso Gagliano, pour assurer la "visibilité" du Canada dans le parc des plaines d'Abraham en y plaçant plein de beaux petits drapeaux canadiens et de logos du fédéral. M. Juneau se serait également opposé au projet mis de l'avant, entre autres, par l'ancien maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, visant à rebaptiser "la place de Wolfe-Montcalm" en "Allée de la France". Il se serait aussi fait rembourser par la CCBN, donc par des fonds publics, des contributions politiques faites au PLC, au PLQ et au Conseil pour l'unité canadienne.

Le premier ministre Charest a sollicité un mandat majoritaire pour qu'il n'y ait plus qu'une seule paire de mains sur le volant: la sienne. Ce 250e lui donne une belle occasion de tenir ce volant solidement, question d'expliquer les choses de la vie à messieurs Harper et Juneau. Ce dont il est amplement capable. Et qui sait? Ce 250e offre peut-être aussi l'occasion de revendiquer la passation du parc des plaines d'Abraham sous responsabilité québécoise. Que le Québec demeure ou non une province, n'est-il pas temps qu'un lieu aussi signifiant pour les Québécois cesse d'être administré par une agence relevant de Patrimoine canadien, ce qui, par conséquent, le condamne à demeurer un pion politique plutôt que de devenir enfin un véritable lieu de mémoire?

LA "DETESTATION"

Alors? Nicolas Sarkozy pense vraiment que les souverainistes québécois font dans la "détestation" de l'Autre, et donc des Canadiens anglais? De toute évidence, le président français a trop bu les paroles de son mentor Paul Desmarais père. Ou peut-être aurait-il également trop lu d'articles de Mordecai Richler?…

Mais heureusement, Sarko n'est pas la France. Il ne fait que la représenter. Du moins, pour le moment.