Voix publique

D’émotions et de violence

Il y avait quelque chose de franchement troublant à entendre André Juneau invoquer ad nauseam des "menaces de violence" comme prétexte principal à l'annulation de la reconstitution militaire de la bataille des plaines d'Abraham. De la démagogie pure.

Après s'être terré pendant des semaines, le président de la Commission des champs de bataille nationaux (CCBN) a eu l'audace de pérorer qu'en tant que "gestionnaire responsable", il ne pouvait tout simplement pas "risquer de compromettre la sécurité des familles et des enfants"! Au prétexte de la "violence", il ajouta celui de l'"émotivité des "gens", de la "susceptibilité", de la "sensibilité" et de perceptions qu'il dit "erronées" face aux "intentions" de la CCBN. Des perceptions créées surtout, selon lui, par la "forme" et non le "fond", soit un "visuel" quelque peu "maladroit" placé sur le site de la CCBN: une photo montrant de faux Wolfe et Montcalm se donnant la main et arborant un large sourire complice et amical. Bref, tout cela ne serait qu'un simple malentendu résultant d'un mauvais marketing! Comme si cette photo ne témoignait pas d'un révisionnisme historique visant justement à gommer les effets de la défaite et de la Conquête.

Mais pas une fois il n'a reconnu la moindre possibilité qu'une commémoration aussi marquée de la défaite de 1759 soit une chose dont de nombreux Québécois ne veulent pas. De toute évidence, il espère qu'en annulant la simple reconstitution de la bataille, cet arbre finira bien par cacher la forêt. Cette forêt, c'est le fait que la CCBN conserve tout le reste de la programmation du 250e. Elle y ajoute même de nouveaux éléments! L'invitation tient donc toujours à "jouer les touristes dans votre propre ville"! Bref, il ne sera pas possible d'aller dans notre propre capitale cet été sans qu'on y sente flotter l'esprit de 1759. Allez hop! Et en boni: des mousquets miniatures et des petits drapeaux canadiens en souvenir! Mais combien vous pariez que la CCBN ne distribuera pas en complément de beaux dépliants, bien divertissants, rappelant les conséquences de la défaite, disons, comme l'écrasement des rébellions, l'Acte d'Union ou le rapport Durham?

L'ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

Les prétextes de M. Juneau sentaient aussi l'amertume. Celle d'avoir eu à annuler même une partie de son programme. D'autant plus que ces prétextes lui permettent de jouer à la "victime" de "séparatistes" potentiellement violents. En insistant autant sur des menaces venues en fait de quelques personnes, il occulte surtout les nombreux arguments raisonnés contre la pertinence même de voir une agence fédérale s'arroger le droit de marquer ce qui, au Québec, est considéré comme une défaite aux impacts profonds. Lorsque M. Juneau invoque son devoir de protéger les ti-nenfants de certains méchants séparatistes, il ignore volontairement une opinion publique qui s'y est opposée sur plusieurs tribunes de manière intelligente, posée et pacifique. Elle est là, sa démagogie. Et elle est là, cette troublante habitude de certains vieux serviteurs de l'unité nationale à la sauce trudeauiste, tel M. Juneau, encore et toujours incapables de défendre leur cause sans abaisser leurs opposants.

Car, vous dit M. Juneau, ce qu'il identifie comme un "dérapage politique" serait le fait de séparatistes. Tandis que lui, bien sûr, ne défendrait aucune cause ici. Il ne fait que parler d'"histoire". Mais si sa cause n'était que celle de l'histoire, il aurait saisi tout de suite à quel point la plupart des Québécois n'ont aucun goût de revivre en touristes le "siège intensif" de Québec, pour citer le site de la CCBN, ni les "bombardements et les destructions de maisons" dont il a fait mention dans sa conférence de presse.

L'HOMME SANS CAUSE

Et si encore sa propre raison avait pris le dessus sur son idéologie, il aurait compris d'instinct ce que constatait déjà l'historien Jean-Noël Rouleau en 1959, lors du 200e de la bataille des plaines: "On a peut-être l'intention de promouvoir l'unité nationale? Mais c'est justement le genre de manifestation qui, loin de promouvoir l'unité nationale, va avoir exactement l'effet contraire." (Entrevue rediffusée ce 17 février à Radio-Canada)

Mais le voilà se disant complètement surpris de voir à quel point tout cela dérange encore ici, 250 ans plus tard! Et elle est grosse comment, la poignée que les Québécois ont dans le dos?

Alors, aucune "cause", cet André Juneau? Vraiment? Ce n'est pourtant pas tout à fait ce qu'en pense l'éditorialiste en chef de La Presse qui, face à une annulation possible, dénonçait déjà la "couardise des fédéralistes" dans ce dossier…