Voix publique

L’art de déconstruire

Ce qu'il doit la regretter celle-là! Jean Charest s'est en effet attiré bien des moqueries lorsqu'il a tenté de court-circuiter les futurs historiens en s'autoproclamant "grand bâtisseur" du Québec! Du vrai bonbon pour les caricaturistes…

Mais aussi, une occasion en or pour des libéraux déçus de confier aux journalistes leur désarroi devant cette version tout de même édulcorée du "culte de la personnalité", qu'on associe normalement aux dictatures ou aux républiques de bananes!

Il est vrai que le geste laissait pantois. Car pour finir dans les livres d'histoire en "grand bâtisseur", la première condition est d'avoir au moins déjà bâti quelque chose! D'où les moqueries que le premier ministre doit – du moins, c'est mon hypothèse -, au simple principe de réalité. La réalité étant qu'un immense fossé sépare ce titre de "grand bâtisseur" d'une opinion publique, disons-le poliment, nettement plus sceptique.

Comble de malchance, cette réalité l'a rattrapé dès lundi matin avec la sortie d'un sondage Léger Marketing-Le Devoir montrant que 60 % des Québécois, dont 69 % de francophones, voteraient pour un parti autre que le PLQ. Bref, ou tout ce beau monde ne comprend rien à l'ensemble de son ouvre de "bâtisseur". Ou tout ce beau monde l'a trop bien compris. Et le verrait plutôt en homme qui déconstruit…

C'EST LA FAUTE DU PQ!

Mais lorsqu'ils se font prendre en flagrant délit de déconstruction, M. Charest et ses ministres ont pris l'habitude d'accuser systématiquement le PQ d'avoir fait bien pire avant eux! Le fait que les libéraux soient au pouvoir depuis plus de six ans ne semble pas peser très lourd dans leur balance rhétorique. Écoutez une ou deux périodes de questions à l'Assemblée nationale et vous m'en donnerez des nouvelles.

Les urgences vont mal? C'est le PQ qui a sabré dans les budgets de santé! Le taux de décrochage est trop élevé? C'est le PQ qui a coupé dans l'éducation! L'éthique prend le bord et le PM laisse faire? C'est le PQ qui copinait avec des lobbyistes! Les scandales s'accumulent à la Ville de Montréal? C'est le PQ qui l'a fusionnée et a rendu tout le monde fou! Des clowns visitent des vieux dans les résidences pendant qu'on y manque de soins de base et de préposés bien formés? Le PQ en faisait encore moins! La Caisse de dépôt a perdu 40 milliards de dollars et n'investit plus que 20 % de ses actifs au Québec? Ce serait l'enfer avec le PQ qui veut "s'immiscer" dans les affaires de la Caisse! Etc…

Pour les Québécois, évidemment, le spectacle est désolant. Mais personne au gouvernement ne semble s'en formaliser. On critique avec raison la partisanerie outrancière du gouvernement Harper à la Chambre des communes. Mais qui remarque celle qui a cours à l'Assemblée nationale alors qu'on y entend également les ministres parler plus souvent de "gouvernement libéral" que du "gouvernement du Québec"? Ce qui en dit long sur une certaine conception de l'État.

Mais cela ne veut pas dire que le PM a tout faux. Il est vrai qu'après 1995, le PQ a lui-même amorcé une certaine déconstruction d'acquis importants. Que ce soit en passant la hache du déficit zéro dans les services publics. Ou en refusant de renforcer la loi 101. Mais il est aussi vrai qu'avec les deux mains placées solidement sur le volant depuis 2003, plutôt que de reconstruire, M. Charest semble avoir préféré appuyer sur l'accélérateur du bulldozer! Que ce soit en augmentant la place du privé en santé; en multipliant les partenariats public-privé, qui dégarnissent les coffres de l'État et remplissent ceux du milieu des affaires; en diluant les règles d'éthique des élus; en refusant d'intervenir à Montréal pour stopper le fiasco; en affaiblissant le rôle de la Caisse de dépôt au Québec; en approuvant Rabaska. Etc…

Bref, s'il ne change pas de cap d'ici son départ, les chances de Jean Charest de passer à l'histoire comme un "grand bâtisseur" seront probablement aussi bonnes que celles de Stephen Harper d'hériter du titre de "grand démocrate"!

Et pourtant, quelque chose se passe. La récession et les histoires de copinage aidant à éveiller les consciences, on dirait que la société civile commence à reprendre du poil de la bête. On la sent même de plus en plus impatiente face aux déconstructeurs de tout acabit. Qu'ils soient à Québec, à Ottawa ou au niveau municipal.

Mais ce qui pose inévitablement la question à 40 milliards de dollars: à quand de nouveaux bâtisseurs au Québec? Mais des vrais…