Voix publique

Le mythe du référendum gagnant

Je vous jure dur comme fer que je n'aurais jamais songé à aborder un tel sujet en plein début d'été! Mais un article paru dans La Presse du 29 juin m'a mis la puce à l'oreille… et les doigts sur le clavier.

L'article portait sur l'intérêt qu'a suscité à Ottawa le mémoire de maîtrise de François Yale, déposé à l'Université de Montréal en janvier 2008, dirigé par la professeure Claire Durand et au titre politiquement aguichant: L'évolution de l'appui à la souveraineté du Québec: effets de la formulation de la question et effets de contexte. Avouez que ça pique la curiosité…

Plus j'avançais dans la lecture du mémoire, plus j'y trouvais la confirmation d'une hypothèse que j'avance depuis des années. À savoir qu'il est pour ainsi dire impossible depuis 1995 de savoir avant la tenue même du vote quelle option l'emportera. Mais les derniers chefs du PQ ont plutôt opté pour ce que j'appelle le mythe du référendum gagnant en affirmant qu'ils ne peuvent en tenir un sans être sûrs, ou presque, de le gagner. À force de l'entendre, ce mythe s'est installé dans notre lexique collectif. Alors, on le répète mécaniquement sans le remettre en question ou réfléchir à ses implications.

Lucien Bouchard disait ne pas pouvoir tenir de référendum sans «conditions gagnantes». Bernard Landry attendait l'«assurance morale de gagner». Et Pauline Marois en veut un «s'il est gagnant». On promet le Grand Soir, mais seulement s'il vient avec une garantie de livraison. Ce qui évacue les éléments d'incertitude inhérents à un tel vote. Et nie le fait qu'une campagne puisse avoir un impact réel sur le résultat.

On a beau dire, les victoires ou les défaites garanties d'avance, ça n'existe pas. À moins d'être en déni ou de chercher un prétexte à ne rien faire.

Prenons comme exemple les moyennes mensuelles des appuis au Oui compilées par Léger Marketing, après répartition, pour l'année du dernier référendum.

En janvier 1995, 10 mois avant le vote, le Oui tourne autour de 45 %. Rien de garanti ici! Parizeau «enclenche» néanmoins la dynamique référendaire. En avril, le Oui passe à 55 %. En juin, le PQ, le Bloc et l'ADQ s'allient et le Oui est à 48 %. En septembre, il remonte à 50 %. En octobre, M. Parizeau nomme Lucien Bouchard «négociateur en chef», le Oui revient à 47,2 %. Mais le 31 octobre, il termine à un cheveu de 50 %. En novembre, comme si l'impression restait d'une question non réglée, il remonte même à 54,8 %!

Bref, aucun sondage préalable à la décision d'y aller n’annonçait le score final.

VOCABULAIRE ET CONTEXTE

Ce qui nous ramène au mémoire, basé sur 826 sondages depuis 1962, et se penchant sur l'impact dans les sondages du contexte politique et de l'usage des termes «souveraineté-partenariat», «souveraineté», «indépendance» et «séparation».

Sans surprise, le chercheur note que l'échec de Meech en 1990 est l'événement dont l'effet fut le plus puissant. Les appuis au Oui frôlent alors les 70 %!

Le chercheur note que cet appui augmentait néanmoins depuis l'automne 1989. (Mon hypothèse: après le recours à la clause nonobstant par Robert Bourassa en décembre 1988 pour protéger l'affichage en français, les Québécois ont assisté à des mois de Québec bashing venant du Canada anglais et débouchant sur un rejet de Meech par l'opinion publique.)

L'autre hausse, jusqu'à 54 %, suivra le scandale des commandites. Ce qui est aussi le niveau, sans crise, qu'avait atteint le Oui en avril 1995.

Quant à l'impact du vocabulaire sur les appuis au Oui, le mémoire note une chose fascinante: depuis 1995, les termes «indépendance» et «souveraineté» engendreraient des appuis similaires.

Donc, lorsqu'on dit que la question de 1995 était «trompeuse» parce qu'elle ne parlait pas d'«indépendance», ou qu'Ottawa, par conséquent, doit «juger» de la «clarté» d'une prochaine question, c'est de la bouillie pour les chats.

De fait, selon ce mémoire, à mesure qu'approche la date du vote, «la force du débat politique dans les médias incite possiblement les répondants à se faire une opinion sur le projet politique et à être ainsi moins influencés par la formulation de la question lors des sondages. Dans une telle perspective, les répondants ne répondent donc plus à la question précise qui est posée, ils répondent à un réel projet politique à venir. Nous pouvons donc suggérer que l'effet de la formulation de la question est davantage important lorsque l'enjeu n'est pas sous les feux de la rampe et qu'il ne s'est pas incarné en un projet concret».

En d'autres termes, répondre à un sondage dans l'abstrait est une chose. Mais face à un projet concret, depuis 1995, les Québécois, quelles que soient la question ou leurs propres motivations, savent sur quoi ils votent.

Si le contexte peut influer en partie sur les appuis au Oui et au Non, le vocabulaire, lui, semble avoir de moins en moins d'influence.

En fait, de 1996 à 2009, les appuis au Oui ont beaucoup fluctué entre un sommet de 54 % lors du scandale des commandites, et des bas de 39-40 % dès que le sujet sort de la dynamique politique.

Bref, lorsque vous entendrez dire qu'un référendum ne peut être tenu que s'il est presque gagné d'avance, vous saurez qu'une telle garantie n'existe pas.

Et vous vous demanderez peut-être alors pourquoi ce mythe est autant véhiculé des deux côtés de la clôture constitutionnelle…