Voix publique

L’Incorruptible arrive en ville!

Le saut spectaculaire de John Gomery en politique municipale en dit long sur le haut-le-cour que ressentent bien des Montréalais face à l'état de leur ville. "Autant moral que physique", pour reprendre ses propres mots.

Pourtant, cette histoire n'est pas aussi "montréalo-centriste" qu'on pourrait le croire. On parle ici de la métropole économique du Québec. Mais aussi d'un certain relâchement en politique quant à l'éthique. D'où le retour dans l'actualité d'un bien gros mot: "corruption".

À Montréal, impossible d'ignorer l'atmosphère malsaine. Scandales, enquêtes de la Sureté du Québec, conflits d'intérêts réels ou apparents, mafieux et gars des Hells sur des chantiers de construction, rôle démesuré du privé dans l'octroi de contrats publics, retours apparents d'ascenseur entre des firmes gâtées par la Ville et d'anciens élus ou hauts fonctionnaires, inaction de Québec, décrépitude des infrastructures, etc.

Pour le maire Gérald Tremblay, c'est une gifle. La décision de l'ancien président de la commission sur le scandale des commandites de s'occuper de la campagne de financement du parti Projet Montréal de Richard Bergeron constitue un verdict terriblement sévère.

Lorsque John Gomery propose concrètement d'assainir le financement des partis municipaux, croyant que le laisser-faire actuel encourage la corruption, ça frappe fort. Même si le diagnostic est incomplet et un peu simpliste, il a le mérite de soulever une pierre sous laquelle grouillent bien des anguilles! Lorsqu'il dit sentir "une odeur très désagréable" à l'hôtel de ville, le message porte. Sans comparer, les gens savent qu'il a déjà amplement humé le parfum de la corruption à Ottawa en fouillant les dessous du Parti libéral de Jean Chrétien.

Pour Richard Bergeron, c'est un cadeau de la providence. La crédibilité de sa recrue-vedette, telle que perçue par la population, pourrait renforcer celle de Projet Montréal, lequel n'avait récolté que 9 % des voix en 2005. Sans compter que l'ex-juge aime aussi beaucoup les caméras. Beaucoup. Et que les caméras l'aiment presque tout autant!

DE L'AIR FRAIS?

Ce coup de théâtre, tout comme l'arrivée de Louise Harel au printemps, lance aussi un appel à une plus grande participation citoyenne en politique municipale, la mal-aimée. Mais le personnage même de Gomery porte cet appel au-delà de Montréal. Une très, très grosse commande!

En 2005, le taux moyen de participation au municipal à travers le Québec était à peine de 45 %. À Montréal, le cour économique, il chutait en deçà des 40 %! Soit 10 % de moins qu'en 2001. Une vraie pitié.

Mais la participation, ce sont aussi les conseils d'arrondissement et la politique active. Et là, le portrait est peu reluisant. La classe politique peine à se renouveler. Sans faire de la jeunesse une vertu en soi, il reste que les "jeunes" manquent à l'appel. Au fédéral, au provincial et au municipal. En 2005, seulement 8 % des conseillers municipaux au Québec avaient entre 18 et 35 ans. À Montréal, ils n'étaient que 3 %.

Sans nier leurs qualités ni la valeur de l'expérience, force est tout de même de constater que le coup de tonnerre dans le ciel montréalais fut frappé par un ex-juge de 77 ans. Que le maire sortant est âgé de 66 ans. Que Louise Harel en a 63. Que son nouveau candidat, Rémy Trudel, en a 61. Ou que, hormis M. Gomery, toutes ces gentilles personnes ont été élues à l'Assemblée nationale dans les années 1980. Ce qui laisse l'impression, à tort ou à raison, que l'élection à Montréal est un Club des ex pour anciens politiciens provinciaux.

De fait, à 55 ans, le plus "jeune" est Richard Bergeron, chef de Projet Montréal. Un parti qui, non sans coïncidence, se dit plus porté vers des valeurs sociales et environnementales prisées par les plus jeunes. À 39 ans, tout à côté, à Longueuil, l'ancienne députée bloquiste et candidate à la mairie, Caroline St-Hilaire, est même une vraie post-boomer. Reste maintenant à voir si les candidats des partis appartiendront à des tranches d'âge, classes sociales et milieux, disons, plus variés…

Encore une fois, sans verser dans l'âgisme primaire, on aura beau se lamenter face aux scandales, à la perte de pouvoir des élus ou à leur simple manque d'imagination, sans l'arrivée de sang neuf, de qualité, comment faire entrer un peu d'air frais? Comment tenter de sortir des réseaux et des intérêts qu'une part de la classe politique, tous partis confondus, partage et s'échange depuis des lunes?

Se désolant quant à lui du manque de relève au fédéral, mon collègue Lawrence Martin du Globe and Mail notait que moins de jeunes votent et vont en politique. Aussi qu'être plus âgé en politique "donne de la perspective", mais pas toujours "de l'étincelle, de la créativité et de l'audace". Ajoutons que sans être une panacée, être plus jeune en politique, ou tout au moins ne pas y avoir passé le clair de sa carrière adulte, aide aussi à devoir moins de faveurs à moins de monde. Parfois même, à oser sortir des schèmes et des thèmes imposés par certaines élites installées trop confortablement.

Voire à résister, du moins pour un temps, à ce que John Gomery avait qualifié dans son rapport sur le scandale des commandites de "culture du tout m'est dû"…