Voix publique

Nés pour un p’tit diplôme?

La course à la direction de l'ADQ est un roman-savon. Dernier épisode: Éric Caire aurait-il ou non laissé croire qu'il avait un baccalauréat en communication alors que ce n'est pas le cas?

Au-delà de la chicane interne, cette histoire en cache une autre. Celle d'un tabou: comment se fait-il qu'on ne trouve rien à redire lorsque des hommes ou des femmes aspirant à diriger un parti et un État ont si peu de formation? Surtout s'ils n'ont pas compensé cette carence par une expérience soutenue et pertinente. Ou qu'il s'il ne s'agit pas au moins d'un autodidacte doté d'une culture étendue?

Que disent ces réactions sur notre attitude par rapport à l'importance que nous accordons réellement à l'éducation? Pourquoi sommes-nous redevenus si peu exigeants? Même envers ceux qui nous dirigent.

BIEN DU CHEMIN PARCOURU

Bien sûr, il y a ce vieux fond persistant d'anti-intellectualisme. Même chez des leaders d'opinion. Est vu comme "élitiste" celui qui souligne l'importance d'une formation solide pour aspirer aux plus hautes fonctions. Personne ne conteste la nécessité pour un plombier d'avoir une formation de plombier. Mais pour un chef de parti ou un premier ministre, un secondaire V et quelques emplois disparates suffiraient? Si oui, c'est confondre le droit pour tout citoyen de voter avec la formation et l'expérience requises pour être chef ou PM. Est-ce là notre manière de "valoriser" l'éducation?

On a aussi tenté de relativiser le cas des "décrocheurs" comme M. Caire sous prétexte qu'on n'est pas tous nés dans la ouate. Primo: M. Caire n'est pas un "décrocheur". Il n'a pas fait d'études supérieures. Ce qui est autre chose. Secundo: le confort n'est pas essentiel aux études. Sinon, c'est qu'on a oublié un des crédos de la Révolution tranquille: l'éducation étant LA clé de l'ascension socio-économique des citoyens et de la société, on doit offrir une éducation publique de qualité à tous, de la maternelle à l'université, indépendamment du niveau d'éducation et de revenus des parents.

Je ne suis pas née dans la ouate. En fait, on tirait le diable par la queue. Et mes parents ne lisaient ni Balzac, ni Milton. Le premier livre à entrer chez nous, je l'ai acheté à 9 ans avec l'argent gagné à servir la messe. Mon cas, typique des années 60, était la règle chez les moins nantis.

Mon goût de la connaissance, je le dois aux écoles publiques de mon quartier ouvrier. Je le dois à la culture de l'effort inculquée par mes professeurs et, donc, à mon propre travail. Personne ne craignait de "traumatiser" un élève avec une mauvaise note. Lorsqu'on échouait, on recommençait. Et on réussissait. On voyait les profs comme des profs, pas comme de gentils accompagnateurs! Les classes étaient séparées en groupes "enrichis", "réguliers" et "allégés". Les élèves plus doués étaient regroupés. L'enseignement et les devoirs étaient conséquents. Qui améliorait ses notes en régulier ou allégé montait de niveau. Nous ne savions pas que nous étions des élèves "défavorisés". On nous enseignait. Même les classiques. Et on apprenait. Avec fierté.

Le Québec a fait de grands progrès en éducation dans les années 60 et 70. Puis la société s'est "complexifiée", surtout à Montréal. Mais ce fut aussi le cas hors Québec. Ici, par contre, on semble encore hésiter à valoriser les études supérieures. Et au secondaire, depuis 20 ans, d'une "réforme" à l'autre, les technocrates réinventent une roue qui roulait pourtant bien. Les dirigeants pondent des plans vaseux contre le "décrochage" et se vantent de vouloir forger une "économie du savoir", mais sans prendre les moyens pour y arriver.

En 2008, une étude réalisée par trois chercheurs sur les écoles publiques de Montréal disait ceci: 53 % des élèves du secteur français obtenaient leur diplôme en 2005 dans les délais normaux, comparativement à 72 % du côté anglais. L'écart entre les secteurs français et anglais, de 16 points en 1995, était passé à 19 points. Les filles avaient deux fois plus de chances de réussir que les garçons. Ceux du privé avaient cinq fois plus de chances d'obtenir leur diplôme que ceux du public. Joli portrait.

Pourtant, le cas de M. Caire, sans le personnaliser, montre que quiconque exige mieux reste taxé d'élitisme. Et que dire du drôle de message qu'il envoyait aux jeunes en disant ceci: "J'ai été dans un modèle pédagogique qui, moi, ne me convenait pas (et) où on me demandait de rester assis pendant des heures et des heures à écouter un professeur parler, ce qui n'est pas, pour moi, une façon d'enseigner et qui a fait que mon intérêt à l'école n'a jamais été fort." Si des cours magistraux ne sont pas un bon modèle, faudra-t-il enseigner avec des jeux vidéo?

Maintenant, comparons nos réactions à ces extraits du discours de Barack Obama à des élèves de Wakefield – un président qui n'a vraiment pas grandi dans la ouate. Le contraste est saisissant. "J'ai parlé de la responsabilité de vos professeurs (…). J'ai parlé de la responsabilité de vos parents (…). J'ai parlé de la responsabilité de votre gouvernement (…). Mais rien de cela n'y fera si vous n'y mettez pas l'effort qu'il faut pour réussir."

"Quel que soit le métier que vous ferez, je vous jure que vous aurez besoin d'études pour le faire. (…) Ce que vous apprenez aujourd'hui déterminera aussi la capacité de ce pays à relever les plus grands défis (…). Vous aurez besoin de la pensée critique que vous acquérez en histoire et en sciences sociales (…). Réussir est difficile. (…) Vous ne verrez pas tout de suite la pertinence dans votre vie de chaque devoir. C'est O.K. Certains des gens qui réussissent le mieux sont ceux qui ont connu des échecs. Personne ne naît en réussissant. Vous devenez meilleurs en travaillant fort."