Le latin du Canada
Voix publique

Le latin du Canada

Bulletin spécial: les Québécois et les francophones hors Québec forment une minorité au Canada! Ne composant plus que 22 % de la population du pays, c'est même une minorité de plus en plus minoritaire.

Les Jeux olympiques de Vancouver ne font que nous renvoyer cette vérité en plein visage.

Du côté du Canada anglais, les francophones ont beau lutter pour préserver leur langue dans leurs familles et leurs communautés, dans la plupart des centres urbains et des régions, le français n'existe à peu près pas ou plus comme langue "vivante", comme langue de culture, de communication ou de travail.

Sans compter que moins de 10 % seulement des Canadiens anglais maîtrisent le français. Donc, 90 % sont incapables de même "consommer" le moindre produit culturel de langue française.

Un exemple parmi d'autres: le gala du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens diffusé en 2008 sur les ondes très publiques de la CBC. Petit détail: les producteurs ont exclu tous les artistes québécois de l'émission finale parce qu'ils n'étaient "pas connus" des Canadiens anglais. Ni d'Adam, ni d'Ève…

Vous en souvenez-vous? Bien entendu, notre mâchoire collective nous était tombée sur les genoux. Comme d'habitude. Mais "que voulez-vous", comme dirait Jean Chrétien, it is what it is.

Bref, le principe de réalité est le suivant: hors Québec, le français est en voie de devenir le latin du Canada. Une langue de plus en plus moribonde. Comme une aberration sociolinguistique.

On parle donc d'un désintérêt presque total pour le français. Un désintérêt décuplé par la montée du mandarin dans l'Ouest canadien. Par ce qu'il reste encore du vieux fond francophobe dans ce pays faussement bilingue. Par la diminution du nombre de francophones. Mais aussi par l'érosion du pouvoir politique du Québec au sein du Canada à la suite du rapatriement unilatéral de la Constitution, de deux référendums perdus et deux échecs constitutionnels majeurs – Meech et Charlottetown. So what does Québec want? Who cares anymore, really?

Et après, on se surprendra du sort réservé au français dans les cérémonies d'ouverture des Jeux olympiques de Vancouver.

C'est pourtant déjà beau qu'on n'ait pas demandé aux rares francophones invités de se déguiser en Amérindiens pour mieux se rendre invisibles et inaudibles dans un mauvais spectacle où la culture française fondait comme neige sous la pluie vancouvéroise. Qui sait? On aurait peut-être dû demander un "accommodement raisonnable" pour ce pauvre français minoritaire et sans plumes…

Mais vous savez quoi? Même si on avait accordé plus de place au français, cela n'aurait été que du bilinguisme de façade.

Même au Québec, 40 % des allophones ayant fait leurs études secondaires en français passent à un cégep anglais alors que plus de 50 % passent à une université anglaise. Avertissement: pour plusieurs d'entre eux, le français risque de devenir une troisième ou quatrième langue. Une langue surtout "utilitaire".

On sait pourtant qu'aucune langue nationale ne peut survivre à long terme si elle n'est pas la langue première de la grande majorité d'une population, toutes origines ethniques confondues. Comme l'anglais l'est dans le Rest of Canada et les États-Unis. Et "première" ne veut pas dire exclusive.

Quant aux Anglo-Québécois, plus ou moins 30 % d'entre eux sont unilingues. La plupart sont âgés, c'est vrai. Mais même chez les moins vieux, apprendre le français ne crée pas souvent le goût de "consommer" de la culture francophone. Demandez seulement à des "vedettes" québécoises où ils et elles vont pour passer "incognito". Leur réponse: "on n'a qu'à se promener à l'ouest du boulevard Saint-Laurent"!

Le mur des lamentations

Tout cela use. C'est certain. Mais la réaction aux événements de Vancouver n'est qu'un épisode d'une longue liste de hauts cris que l'on pousse collectivement devant le mur des lamentations d'un bilinguisme officiel devenu illusoire. Et derrière ce mur, se trouve la pierre tombale de la "dualité" canadienne et du rêve des "deux peuples fondateurs".

Mais nous sommes piégés. Ne rien dire est acquiescer à notre déliquescence dans ce pays. Mais déchirer notre chemise ad nauseam revient à se battre contre des moulins à vent.

Alors, que faire? Des fédéralistes, comme André Pratte, répondent que "le rêve canadien n'est pas un acquis, mais un projet, toujours en construction". Des souverainistes, comme Pauline Marois, dénoncent ce "mépris" et attendent que le Québec soit un pays. Mais comme ce pays ne se fait toujours pas, que faire?

Bien sûr, on peut toujours se résigner et se payer quelques montées de lait circonstancielles en se racontant autour du feu de belles histoires de "survie" du français dans ce beau et grand pays.

Ou on peut reconnaître l'absolue nécessité d'agir pour mieux protéger le français au Québec. Ce que nos gouvernants ont cessé de faire en 1996. Le tout, avec ou sans souveraineté, en créant de nouveaux ponts avec les francophones hors Québec parce que chaque francophone assimilé est un clou de plus dans le cercueil du français sur ce continent.

Se concentrer sur le Québec, c'est comprendre que si nous avons besoin d'une Loi 101 plus rigoureuse et d'une volonté politique solide, ce n'est pas par "intolérance" envers l'anglais. C'est par lucidité.

Déchirer sa chemise pour Vancouver est peut-être inévitable dans les circonstances. Mais faisons-le sans oublier que le vrai combat pour le français, il est ici.

Et non pas au pied des Rocheuses. Aussi jolies soient-elles…