Voix publique

Un cadeau empoisonné

Un principe simple guide habituellement la plupart des parents: tout faire en leur pouvoir pour permettre à la prochaine génération de s'en sortir mieux que la précédente.

Au Québec, la plupart des gouvernements depuis la Révolution tranquille ont appliqué le même principe. Du moins, hormis le cauchemar du déficit zéro de 1996 – moment où le gouvernement Bouchard passait la tronçonneuse à l'aveugle en santé, en éducation et autres services publics.

Mais avec son dernier budget coup-de-poing à la sauce "Lucide", le gouvernement Charest a fait le choix de laisser moins aux prochaines générations. Un choix "historique", en effet. Mais historique surtout parce qu'il laissera aux post-baby-boomers un "panier" de services publics dégarnis, des frais et des tarifs de plus en plus élevés, une fiscalité irrévocablement inéquitable, un système de santé de moins en moins accessible pour la classe moyenne et les travailleurs à petits revenus. Et un système d'éducation public condamné à se voir de plus en plus vampirisé par le privé.

Et pourtant, Jean Charest a eu l'audace, au lendemain de son budget, de clamer que ce soir-là, il pourrait "regarder ses enfants dans les yeux". Les yeux de ses propres enfants, sûrement! Mais pas ceux des enfants des autres Québécois.

La pire insulte à l'intelligence des citoyens est que ce "choix" de laisser moins aux prochaines générations se fait au nom d'un déficit que le gouvernement a créé en bonne partie lui-même. Et cela, on ne le répétera jamais assez car de le savoir permet de mieux comprendre à quel point les Québécois se font raconter des histoires à dormir debout lorsqu'on leur impose des sacrifices au nom de ce même déficit.

Ce trou, il l'a creusé volontairement. Il l'a fait en accordant depuis 2003 plus de 5 milliards de dollars en baisses d'impôt, pour les particuliers seulement. Il l'a fait aussi en refusant d'occuper les deux points de TPS laissés vacants par Ottawa. Pour le Québec, cela aurait ajouté aux services publics plus de 2,5 milliards par année! Si on ajoute les baisses d'impôt aux entreprises, c'est d'au moins 12 milliards de dollars que le gouvernement Charest aura privé l'assiette fiscale du Québec. C'est beaucoup, beaucoup d'argent!

Pas de surprise alors qu'avec des revenus d'autant réduits, ce gouvernement en ait aussi profité pour "sous-traiter" au privé de plus en plus de services publics handicapés par le manque de fonds. Ou que, par un agréable retour d'ascenseur, un certain nombre d'heureux "bénéficiaires" du privé recevant tous ces beaux, gros contrats gouvernementaux se montrent particulièrement reconnaissants envers la caisse électorale du Parti libéral…

C'est combien pour un cancer?

Mais le pire des cadeaux empoisonnés laissés aux futures générations est l'ouverture accélérée du système de santé au privé. Sans compter l'imposition proposée d'une "taxe santé" de 200 $ par année, sans égard aux revenus des individus. Et d'une "franchise" de 25 $ – le montant n'étant toutefois pas clair – pour chaque visite chez le médecin, au CLSC, à l'urgence, ou on ne sait encore trop quoi…

Et pourquoi briser ainsi l'aspect "universel" de notre système de santé? ("Universel" voulant dire que la collectivité paye pour le système par le biais des impôts pour que tous y aient accès sans égard aux revenus individuels.)

Le ministre des Finances, Raymond Bachand – révélant ainsi son petit côté Marie-Antoinette -, répond au bon peuple que c'est pour briser sa "culture de la gratuité". Parce que, voyez-vous, selon le ministre, le bon peuple manquerait à ce point de neurones qu'il ignorerait même que les services "coûtent quelque chose"… Une telle condescendance aurait sûrement "coûté" son poste à un ministre sous un René Lévesque ou un Jean Lesage…

C'est combien pour un diplôme?

Même "logique" pour le système d'éducation et, surtout, pour les études universitaires. On augmentera toujours plus les frais de scolarité en affirmant, faussement, que cela n'aura aucun impact sur l'accessibilité.

Le gouvernement avance que même si les frais sont beaucoup plus élevés dans les autres provinces, cela n'en diminue pas l'accessibilité. Pas tout à fait. En fait, les grandes universités anglo-canadiennes doivent se tourner de plus en plus vers les étudiants étrangers pour pallier le manque d'étudiants canadiens qui commence à se faire sentir.

La "normalisation" du Québec

La vision du Québec qu'entend léguer le gouvernement actuel aux prochaines générations est à des lunes d'une société solidaire. Imparfaite, certes, mais solidaire néanmoins.

Cette solidarité, nous l'avons acquise dans les années 1960 en demandant à chacun et aux entreprises de contribuer par l'impôt selon ses revenus. Et nous l'avons fait pour que chacun puisse en retirer des services indépendamment de ses revenus. C'est justement à ce choix que le gouvernement tourne le dos en "normalisant" le Québec. Lentement, mais sûrement.

Nous serons donc plus dans la "norme" continentale. Plus comme les autres Nord-Américains. Mais nettement moins comme nous voulions être.

Parce que cette "vision" affectera plus durement encore les plus jeunes et les générations suivantes, il est impératif qu'ils s'en mêlent eux aussi. Et qu'ils le fassent rapidement. Sinon, le Québec finira comme cette fameuse tirade du film Les Invasions barbares: en "province de ti-counes" où l'argent achète des services autrefois publics et où la corruption s'étend par conséquent…