Voix publique

Un Oliphant dans le magasin de porcelaine

Il fut un temps pas si lointain où, hormis le hockey, la politique était le "sport national" des Québécois. Plus maintenant.

À force d'entendre des mots comme "scandale", "corruption", "commission d'enquête", "prête-nom", "menteur" ou "contrats aux tinamis", la politique croupit au 36e dessous.

Même Jacques Parizeau s'est dit "indigné" par les "cochonneries" qui éclatent. Un éditorialiste fédéraliste connu a aussi qualifié l'Assemblée nationale de "soue" pendant que le Globe and Mail titrait "Corruption in Quebec".

Bref, nonobstant les options constitutionnelles de chacun, plusieurs trouvent le fond de l'air sur la Grande Allée passablement vicié. Et ça, c'est ce qu'on en dit en public!

De fait, c'est depuis le printemps 2009 que les questions d'intégrité sont revenues hanter la politique québécoise comme un vieux fantôme sorti du grenier où le grand nettoyage des années Lévesque l'avait pourtant remisé.

Parce que les libéraux s'inquiètent maintenant de devoir vivre longtemps avec l'étiquette "scandale" sur le front, M. Charest a enfin abandonné son "salaire" annuel de 75 000 $ tiré des coffres de son parti depuis 1998. Ce qui lève l'obstacle principal à l'adoption éventuelle du code d'éthique promis par le PLQ depuis 2002…

Réhabiliter le politique

Mais pendant qu'ils étudient ce projet de loi, les élus du Québec seraient sages de jeter un coup d'oil au rapport Oliphant sur l'affaire Mulroney-Schreiber, cet épisode particulièrement choquant dans le département de l'"éthique".

Ça tombe super bien. Un chapitre porte justement sur "la vérité, l'éthique et l'intégrité". Me Oliphant y insiste beaucoup, avec raison, sur le privilège qu'est le fait de siéger comme élu. Et, privilège obligeant, cela commande des élus, dit-il, un respect de règles éthiques plus rigoureuses et plus élevées que la norme habituelle.

Entre autres choses, Me Oliphant propose donc qu'une obligation de transparence complète s'applique lorsque l'élu se magasine un poste dans le privé. Question de ne créer aucun conflit d'intérêts, ni même une "apparence".

Une telle mesure diminuerait les "retours d'ascenseur" entre des élus se préparant à quitter et des entreprises profitant de gros contrats publics. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent depuis quelques années. Que ce soit en politique provinciale, fédérale ou municipale, cette liste-là est particulièrement longue!

Une telle vision du politique semble exigeante parce qu'elle l'est. Citant une maxime connue, Me Oliphant ne se gêne pas pour rappeler que: "De ceux à qui les plus grandes responsabilités sont données, beaucoup est exigé." Ou devrait l'être. Les parlementaires eux-mêmes, dit-il, dont ceux avec une éthique déjà impeccable, ont intérêt à tout faire pour que la "confiance" des citoyens en leurs institutions soit nettement plus solide.

Considérant le laxisme ambiant quant à l'éthique – pas seulement au Canada et pas seulement en politique -, il suggère qu'une formation complète sur le sujet soit donnée aux élus, au personnel politique et à la haute fonction publique. Question de renforcer la "culture" de l'éthique. Voilà ce qu'on appelle un "vrai" lucide…

Car au-delà des "codes" et des "commissaires", l'éthique en politique est avant tout une "culture". Mais une culture capable de fondre au soleil dès qu'on la délaisse par paresse, incompétence, inconscience ou malhonnêteté.

Cette vision exigeante et noble est franchement rafraîchissante. Elle nous ramène à ce que la politique doit être: un geste d'engagement au service du bien public. Non pas une carrière et une carte de visite pour la suite des choses dans le privé.

Voir l'engagement politique sous cet angle, c'est aussi mieux rémunérer les élus de l'Assemblée nationale. Non pas pour attirer les "meilleurs" du privé (si la compétence et le salaire allaient de pair dans la vie, on le saurait!). Mais pour que leurs revenus soient conséquents avec leur niveau élevé de responsabilités et d'exigence éthique. Du moins, le jour où cette vision marquera son retour.

Voir cet engagement comme une exigence éthique supérieure se démarque aussi d'un certain discours voulant qu'on exigerait l'impossible des élus. Que ce soit un Lucien Bouchard parlant exagérément de la pauvreté absolue dans laquelle les élus plongeraient. Ou un Mario Dumont qui, loin de s'inquiéter d'une certaine "dérive" éthique, dénonce plutôt ce qu'il appelle le "délire" de l'éthique.

Exiger mieux n'est pourtant pas verser dans le "délire" ou la "morale". Comme le note Me Oliphant, c'est simplement voir le politique comme une exigence supérieure. C'est donc chercher à y attirer les "meilleurs". Mais les vrais…

Le "cas" Amir Khadir, parmi d'autres élus, illustre bien cette exigence. Pourtant seul député de son caucus, il s'astreint à des normes éthiques claires et n'hésite pas à dénoncer les situations où celles-ci font justement défaut, que ce soit en politique, dans le privé ou les sociétés d'État.

Bien des Québécois l'apprécient – qu'ils partagent d'ailleurs ou non les idées de son parti.

Le fait est que politique et éthique font toujours bon ménage. Toujours. C'est lorsqu'ils s'éloignent l'un de l'autre que les problèmes commencent…