Le Canada ‘nouveau' est arrivé!
Voix publique

Le Canada ‘nouveau’ est arrivé!

Oyez! Oyez! Le Canada "nouveau" est arrivé! Une preuve parmi d'autres: la "une" particulièrement patriotique du Globe and Mail de ce 1er juillet dernier, jour de la fête du Canada.

En très, très gros caractères, on y titrait: "THE YEAR CANADA GREW UP". Et on sous-titrait "the gold medal nation at the Olympics has been leading the world by example". (L'année où le pays a atteint sa "maturité" politique et montré l'exemple au monde entier.)

Comme il se doit, on y saluait également la visite d'Élizabeth II, laquelle, par hasard, en ce jour du Canada Day, allait reprendre dans son propre discours ce même thème de la nouvelle "maturité" canadienne et de son "exemplarité" planétaire.

Toujours à la première page du journal, on y trouvait aussi une chronique futuriste imaginant ce que serait le pays en 2057. Sans surprise aucune, l'auteure y prédisait que le Canada serait encore "le meilleur pays du monde". Seul bémol: contrairement aux villes multiethniques, la région de l'Atlantique ne serait plus qu'un "ghetto" de Blancs tandis que le Québec serait devenu la province la "plus pauvre" du pays, sans la moindre influence politique, mais ayant toujours les meilleurs restos…

Bien sûr, il serait tentant de trouver le tout un tantinet exagéré. D'autant plus que le vénérable quotidien torontois y vantait aussi la politique extérieure canadienne même si cette dernière n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était. Sans compter qu'il saluait aussi les Olympiques – ce moment de grâce où le Canada a "embrassé le monde" – malgré que le français y fut aussi rare que la neige. Ou encore, qu'il applaudissait à l'initiative d'Ottawa sur la santé maternelle nonobstant les nombreuses critiques contre son refus d'y inclure l'avortement.

Et pourtant. Et pourtant… La forme et le fond patriotiques de cette édition ne font que refléter une réalité.

Cette réalité est que le nationalisme canadien a beaucoup changé au cours des derniers quinze ans. Plus précisément, depuis ce soir du 30 octobre 1995 où le pays est passé à un cheveu de perdre le Québec. Ce même soir où on s'est promis au Canada que cela ne se reproduirait jamais plus.

Bien sûr, le nationalisme canadien existait bien avant le dernier référendum. Toutefois, politologues et historiens canadiens-anglais s'entendaient pour le décrire comme étant essentiellement "non américain", "timide", voire "modeste" et par conséquent, peu porté aux grandes envolées et symboles patriotiques.

Et pourtant. Et pourtant…

Le choc de la quasi-défaite du NON en 1995 allait provoquer l'émergence d'un nationalisme canadien nettement plus affirmé, clairement affiché et auquel s'ajouterait même une certaine forme de patriotisme. À vrai dire, si le rapatriement sans le Québec de la Constitution en 1982, de même que le rejet en 1990 de la clause de "société distincte" de l'accord du lac Meech par une opinion publique majoritaire au Canada anglais en annonçaient déjà la venue, il reste que le traumatisme du résultat extrêmement serré du 30 octobre 1995 en marquerait l'accouchement définitif.

C'est pourquoi ce nationalisme nouveau s'affirme non seulement hors Québec, mais aussi hors de la question même de sa "place" dans la fédération canadienne. Bref, le Canada "nouveau" se définit de moins en moins en fonction de LA question constitutionnelle et de plus en plus suivant SA propre thématique nationale canadienne et multiculturaliste. Et non plus, comme on disait dans ma tendre jeunesse, dans une optique plus "binationale" basée sur le principe des "deux peuples fondateurs".

Il faut d'ailleurs se rappeler à quel point, dans les années suivant le référendum, Ottawa aura encouragé l'expression d'un nouveau patriotisme canadien, dont cet usage généralisé et hautement subventionné du drapeau. Et ce, autant sur les édifices et lieux publics que devant les maisons privées des Canadiens.

Mais cet usage, de nombreux Canadiens l'ont aussi fait fort volontairement, en partie pour dire aux Québécois que ce pays s'afficherait dorénavant nettement plus…

Dans l'après-référendum, on a aussi assisté au retour fulgurant du discours partitionniste. Du genre: "Si vous recommencez, Québec, on vous partitionne le territoire!"

De fait, tout cela faisait partie du fameux "Plan B" d'Ottawa, cette pratique du "tough love" envers le Québec, comme on l'appelait, et dont la pièce de résistance était la fameuse Loi dite sur la clarté. Cette loi de Stéphane Dion et Jean Chrétien prétendait même donner au gouvernement fédéral le pouvoir de juger de la "clarté" d'une prochaine question référendaire au Québec et, le cas échéant, de la "bonne" hauteur de la majorité requise pour que le OUI l'emporte.

La réalité est indéniable. Le nationalisme canadien "nouveau" s'est tissé principalement en réaction au dernier référendum – le tout s'inscrivant dans la même logique que celle de 1982 et 1990. Mais en bien plus déterminé encore.

D'où le fait que ce nationalisme, qui s'affiche et s'affirme haut et fort, se définisse de plus en plus indépendamment de la question dite nationale du Québec.

Donc, en effet, le Canada "nouveau" est arrivé.

Ou, pour citer l'éditorial paru ce même 1er juillet dans le Globe and Mail, lequel louangeait cette nouvelle "maturité" du Canada en citant cet extrait d'une chanson de K'Naan, un rappeur canadien d'origine somalienne: "When I get older I will be stronger. They'll call me freedom just like a wavin' flag."

Un édito qu'on annonçait d'ailleurs à la une sous le titre évocateur et en belles lettres rouges de "The year of living patriotically"…