Changement de paradigme
Voix publique

Changement de paradigme

Je sais. Il fait beau, les oiseaux chantent, les poissons frétillent et l'appel du barbecue vous émeut. Et me voilà vous parlant de politique…

C'est que, bien discrètement, il s'est produit dans les derniers mois un virage chez Stephen Harper auquel il serait sage de porter attention. Appelons cela un changement de paradigme côté stratégies électorales.

Explication. Depuis sa victoire minoritaire en janvier 2006, le premier ministre est obsédé par une seule chose: gagner une majorité de sièges. Son but n'est pas un secret d'État: remplacer le Parti libéral comme "natural governing party" du Canada et faire de l'ultraconservatisme la "philosophie dominante du pays". Clair. Simple. Précis.

Et donc, M. Harper y a investi toutes les ressources de son parti, humaines, financières et stratégiques. De son "clientélisme chirurgical" à sa séduction ratée du Québec.

Vous me direz que dans notre système parlementaire, les gouvernements minoritaires étant l'exception, il est normal pour tout PM dans cette situation de croire qu'il obtiendra une majorité la fois suivante. Très vrai. Mais pour les conservateurs, cette donne a changé. Considérablement.

Stephen Harper fait son deuil

Après deux minorités consécutives et la faible probabilité d'une prochaine victoire majoritaire, M. Harper semble avoir fait son deuil de cette dernière. Dans le court à moyen terme. C'est une question de lucidité.

Même son légendaire ex-conseiller, Tom Flanagan, reconnaît que "la période actuelle de gouvernements minoritaires pourrait se prolonger encore longtemps". C'est tout dire.

Il est donc là, le changement de paradigme de M. Harper: tenter de conserver le pouvoir le plus longtemps possible, même minoritaire, plutôt que de viser une majorité de plus en plus illusoire. Après tout, le pouvoir, c'est le pouvoir! Surtout face à un Parti libéral faiblard et refusant toute coalition avec le NPD – seule manière de défaire la droite unie sous Harper.

Pour les conservateurs, ce changement de perspective vient de l'acceptation de deux faits. 1) Leur incapacité amplement démontrée à rallier suffisamment d'électeurs pour former une majorité. 2) La résilience du Bloc.

Rien, pas même monter les marches de l'Oratoire sur les genoux, n'aidera le PM à changer cette réalité.

Ce virage expliquerait aussi l'activisme récent du gouvernement, lequel cherche surtout à consolider et élargir un tantinet sa base traditionnelle. Sa recette: s'assumer pleinement comme "ultraconservateur". Et au diable les électeurs plus centristes! Pas besoin d'eux pour rester au pouvoir comme minoritaire.

Le virage, il est dans l'initiative de ce printemps sur la santé maternelle, dont l'avortement fut exclu. Dans le festival des arrestations arbitraires au G20. Dans la nomination de David Johnston comme gouverneur général – un homme au passé plutôt accommodant envers les conservateurs. Très pratique en situation minoritaire chronique…

Il est aussi dans l'idée d'abolir la "discrimination positive" pour les minorités dans la fonction publique. Sans compter la cerise sur le gâteau: la commande du PM pour rendre facultatif le questionnaire long du recensement de Statistique Canada. Le tout sous prétexte qu'il serait trop "intrusif" dans la vie privée et ferait craindre aux pauvres Canadiens le bruit des bottes d'un État prêt à les jeter en prison pour refus de répondre. Or, cela n'est jamais arrivé. Et la réputation de StatCan quant à la confidentialité des données est impeccable.

Bref, une rare combinaison de cabotinage populiste et de désinformation taillée sur mesure pour conforter les pires préjugés contre l'État, la science et la raison. Même le patron de StatCan a préféré démissionner.

Les conservateurs s'assument pour ce qu'ils sont

Vous l'aurez noté: le dénominateur commun de l'ensemble de l'ouvre est d'être de nature ultraconservatrice.

Dorénavant, les conservateurs s'adressent non pas à la légendaire "majorité silencieuse", contrairement à ce qu'en dit Maxime Bernier, mais plutôt à la minorité. Celle, plus à droite, dont ils ont besoin pour rester au pouvoir. Quitte à faire le deuil d'un gouvernement majoritaire.

Mais oups. Le nouveau paradigme du PM lui fait perdre quelques plumes dans les sondages. Pour le moment. Toutefois, il n'en fait pas gagner aux libéraux…

Campés aussi résolument à droite, les conservateurs ont encore une pente à remonter pour remporter une prochaine victoire minoritaire, disons, plus solide. Mais elle est encore plus haute à remonter pour Michael Ignatieff.

Évidemment, comme dit le vieil adage, "le vrai sondage, c'est le soir des élections".

Portez tout de même attention au nouveau paradigme de M. Harper. Il n'est pas fortuit. Et ses conséquences risquent de peser lourd…

Pour lire la version longue de cette analyse sur mon blogue:

www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/07/23/changer-de-paradigme.aspx