Voix publique

L’argent du pouvoir

la guerre, le courage vaut mieux que la multitude; mais ce qui vaut mieux encore, ce sont des postes avantageux."

– Machiavel

Depuis un an, on parle beaucoup de l'influence qu'exercerait l'"argent" sur la manière de gouverner des libéraux de Jean Charest.

L'argent collecté par le PLQ avec assiduité. Mais aussi celui des fonds publics dont on a l'impression qu'il favorise souvent les membres de la grande "famille" libérale.

Cette influence de l'argent, on la constate dans le préjugé hautement favorable du gouvernement envers le secteur privé. Dans ses généreux contrats à une industrie de la construction sachant être généreuse en retour pour le PLQ.

Dans la commercialisation des garderies et l'octroi de permis à des "amis" du PLQ. Dans les cliniques et agences privées poussant comme des champignons. Dans l'engouement pour une industrie du gaz de schiste au service de laquelle, par hasard, ouvrent de nombreux lobbyistes fraîchement "ex"-libéraux…

On la voit même possiblement dans la nomination de juges recommandés à Me Marc Bellemare en 2003 par deux collecteurs de fonds libéraux particulièrement efficaces.

Voir le "problème" autrement

Or, je vous soumettrais que l'on a compris le "problème" de manière incomplète. Que s'il est en effet question ici du "pouvoir de l'argent" sur la gouvernance, ce serait une erreur d'oublier l'"argent du pouvoir" et l'usage qu'on en fait. L'argent public. Celui des contribuables dont tout gouvernement est le garant privilégié.

Dans un monde idéal, cet argent sert surtout l'intérêt commun. Or, les gouvernements sont de plus en plus tiraillés entre divers arbitrages, influences, la montée de la droite et de l'individualisme, les lobbys, la grande entreprise, etc. Sans compter les retours d'ascenseur et amitiés de toutes sortes s'exerçant loin de la vue du public.

Résultat: l'argent du pouvoir sert de plus en plus des intérêts "particuliers" au détriment de l'intérêt commun.

Gros problème: les Québécois assistent au spectacle d'un gouvernement qui semble en faire son modus operandi.

Au sommet de ces intérêts particuliers semblent trôner l'allégeance politique et le remplissage des coffres du parti. Au point où le premier ministre commande à ses ministres d'amasser au moins 100 000 $ par année. Quitte à les placer en situation potentielle de conflit d'intérêts.

Le "nerf de la guerre"

Si l'argent est le "nerf de la guerre" pour la plupart des partis, force est de constater que le PLQ se montre plutôt zélé dans le domaine.

Au bout de sept années de pouvoir, le thème dominant de l'actualité est précisément devenu cette proximité inquiétante entre intérêts privés et politiques. Vous avez dit "problèmes d'éthique"? On se demande bien pourquoi.

Les mots "copinage", "favoritisme", "collusion" et même "corruption" ont repris du galon. La confiance des citoyens envers leurs propres institutions s'en trouve d'autant minée et l'atmosphère de la Cité, empoisonnée. Ouache.

D'où ces presque 80 % de Québécois qui, depuis plus d'un an, réclament une commission d'enquête indépendante sur la construction, l'octroi de contrats et le financement des partis. La nomination de trois juges n'est qu'une bien petite goutte dans cet océan de suspicions…

Il faut écouter les audiences de la commission Bastarache pour voir à quel point Me Marc Bellemare n'inventait rien quant à l'attitude d'un gouvernement qui, une fois retourné au pouvoir en 2003, semblait pressé de placer "son monde", lequel "refoulait aux portes après neuf ans dans l'opposition"! Le gouvernement se prendrait-il pour une agence de placement pour amis et cousins partisans?

Placer "son monde", c'est donner des contrats aux amis et membres de la "famille" partisane, mais c'est aussi leur distribuer une pléthore d'emplois prisés pour leurs excellentes conditions et payés par les fonds publics. Payés, donc, par l'argent du pouvoir.

Ceci devrait nous faire mesurer l'immense part d'arbitraire que peut exercer tout gouvernement, s'il le souhaite – nonobstant le parti au pouvoir -, dans la distribution aux amis, entre autres, de ce qu'on appelle les emplois "supérieurs".

Résultat: gaspillage de fonds publics dès que l'allégeance politique prend le dessus sur la compétence de manière répétée = mauvaise gestion.

Bref, ce n'est pas d'une commission sur la nomination des juges dont le Québec a besoin. C'est plutôt d'une réforme des modes de financement des partis et de nomination aux postes "supérieurs" dans l'appareil gouvernemental et les sociétés d'État.

Lorsqu'on transforme le responsable de l'attribution de ces emplois supérieurs en vendeur de Tupperware pour la "famille" du jour au pouvoir, il est temps de se poser des questions.

Question de mieux protéger le bien commun.

Question de mieux protéger l'intégrité des institutions.

Bref, question de s'assurer que l'argent du pouvoir ne serve pas à renforcer le pouvoir de l'argent sur les affaires de l'État…