Voix publique

La mère supérieure

 


 

J'ai une question pour vous. Qu'est-ce qui vous dérange le plus en tant que citoyen? Est-ce le "ton" acrimonieux qu'ont pris les débats à l'Assemblée nationale depuis plus d'un an? Donc, est-ce la "forme" qui vous trouble?

Ou est-ce plutôt le "fond" qui vous chicote? Ou, si vous préférez, la manière dont le Québec est gouverné, incluant le parfum de corruption et de collusion dans la construction, de copinage et de financement douteux des partis politiques qui s'en dégage?

Parions que c'est probablement une combinaison des deux. Même à Ottawa, depuis l'élection de Harper en 2006, on s'inquiète du ton hargneux des débats au parlement fédéral. Que voulez-vous? Quand c'est trop, c'est trop.

Mais parions aussi que si le "ton" des débats à l'Assemblée nationale décourage bien des citoyens, leur première préoccupation demeure le "fond" des choses.

Quant au gouvernement Charest, parce qu'il est persuadé que sa chute dans les sondages est surtout due à de mauvaises stratégies de communication, il est donc logique qu'il en soit devenu obsédé, si l'on peut dire, par cette fameuse question de "ton".

Il fallait d'ailleurs entendre le leader du gouvernement, Jean-Marc Fournier, ouvrir son premier point de presse de la nouvelle session avec un avertissement sévère lancé aux partis d'opposition.

Son message: respectez le nouveau code d'éthique des élus en évitant allégations, insultes et injures. Bref, évitez tout ce qui pourrait froisser les chastes oreilles du gouvernement et, surtout, faire la manchette du soir.

Jouant de plus en plus à la mère supérieure du parlement, M. Fournier alla jusqu'à exiger de Pauline Marois qu'elle ne transforme pas la période de questions en "derby de démolition" et qu'elle abandonne son présumé "instinct de tueuse".

C'est n'importe quoi.

Sinon, qu'arrivera-t-il? "Notre démocratie risque d'être malade!", dixit Jean-Marc Fournier. Rien de moins.

Il osa même ajouter sur son mode sirupeux habituel que si le "ton" se détériore au parlement, "bien objectivement", se plaisait-il à répéter à des journalistes médusés, eh bien, c'est uniquement de la faute au PQ! La belle affaire.

En d'autres termes, si le ton des débats est dur, ce n'est pas parce que les questions posées par le PQ, l'ADQ et Québec solidaire, tout en étant par définition de nature partisane, sont aussi en quelque part le reflet de la colère de la population.

Ce n'est pas non plus parce que Jean Charest et ses ministres ne répondent que très rarement aux questions et que lorsqu'ils le font, ça se termine invariablement par une référence à l'époque où le PQ était au pouvoir…

Eh bien, non. Selon la mère supérieure, c'est la faute aux péquistes. Prochain appel.

Infantiliser les élus et les citoyens

Non seulement cette attitude est-elle puérile et infantilisante pour les élus et les citoyens, elle dégage aussi une odeur surannée de morale à cinq cents. Un peu plus et ça sentirait la tentative de censure.

Les débats au parlement sont pourtant déjà amplement policés et aseptisés par un volumineux lexique de termes dits "non parlementaires". Ce qui, souvent, force les élus à enfiler des gants de dentelle jusqu'aux coudes avant de dire ce qu'ils ont à dire.

Or, de toute évidence, pour la mère supérieure, ce n'est pas suffisant.

On dirait même que M. Fournier a déjà oublié, entre autres choses, comment un député libéral, l'an dernier, menaçait mystérieusement Amir Khadir d'aller fouiller dans son passé…

On dirait aussi qu'il a oublié le spectacle désolant auquel se livraient M. Charest et ses ministres lorsqu'ils se levaient à répétition en période de questions pour traiter Mario Dumont de "girouette"! Pis encore, lorsque ce mot fut également interdit par le président, Dumont s'est alors retrouvé croulant sous les synonymes absurdes et enfantins que lui lançaient ad nauseam les mêmes membres du gouvernement.

Bref, la mère supérieure a la mémoire sélective.

Si la manouvre de M. Fournier n'était pas aussi insultante pour l'intelligence, on conclurait presque à une diversion. Une diversion pour cette fameuse commission d'enquête élargie que Jean Charest ne créera jamais. Pour l'inquiétude montante face à l'exploitation du gaz de schiste, l'état du système de santé et du réseau public d'éducation.

Pour faire oublier une commission Bastarache qui fut surtout une opération de blanchiment politique pour le gouvernement.

Ou, tenez, pour ne pas trop parler des personnes vulnérables, âgées ou autres, laissées pour compte dans certaines résidences privées sans véritable supervision publique et où on ne laisserait même pas son chien, son chat ou sa perruche.

La mère supérieure Fournier a même poussé l'audace jusqu'à demander aux partis d'opposition de formuler des "propositions concrètes" au lieu de critiquer autant le gouvernement.

Quoi? Une opposition qui ne "critiquerait" pas trop le gouvernement? Ouais… S'agissait seulement d'y penser.

Mais mon petit doigt de chroniqueuse me dit que les partis d'opposition ne se laisseront pas mener par le bout du nez.

Et pour tout dire, les Québécois, qui endurent déjà un Lucien Bouchard prenant de plus en plus les allures d'un vieux curé grincheux, n'ont surtout pas besoin qu'on leur ajoute maintenant les diktats de la mère supérieure de l'Assemblée nationale.

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