Voix publique

Le bien commun

Bien des politiciens se demandent pourquoi diable ils sont à peine plus crédibles que des vendeurs d'igloos en Floride.

Depuis deux ans, j'ai exploré dans mes chroniques plusieurs facteurs pouvant expliquer ce phénomène.

Mais le fait est qu'ils pointent tous dans la même direction: l'effritement du rôle le plus fondamental des élus, soit celui de "gardiens" du bien commun.

Cet effritement, il se voit aussi clairement qu'une mouffette sur le capot d'une voiture par un soir de pleine lune!

Ce faisant, l'opinion publique a rendu son verdict sur la classe politique: "coupable" de mal gouverner. "Coupable" de déconstruire le bien commun.

Alors, on se demande où sont cachés les vrais "grands bâtisseurs" – ceux capables de transformer les rêves en projets pour le bien d'une société dans son entier. Mystère et boule de gomme.

Pour le moment, le verdict parle haut et fort: coupable depuis trop longtemps de dilapider les fonds publics à coups de milliards en surfacturations et dépassements de coûts inexpliqués.

Ou encore, coulés dans des PPP, ces partenariats public-privé, dont on sait pourtant qu'ils saignent les coffres publics à blanc pour mieux renflouer ceux du privé.

Coupable de ne pas enquêter publiquement sur les racines du problème, soit la collusion et la corruption dans la construction, le copinage et le financement des partis. Coupable de brandir à sa place le hochet d'une "unité anti-corruption permanente".

Coupable de jeter l'argent des citoyens par les fenêtres d'un nouveau colisée érigé à la gloire d'un petit maire.

Coupable depuis des décennies de brader aux intérêts privés des milliards en ressources naturelles. Exception à la règle: l'hydroélectricité. Autres temps, autres moeurs.

L'encan actuel des ressources gazières et pétrolières n'est que l'illustration la plus récente de cette braderie nationale. Ce gaz de schiste profitable pour des compagnies dont l'appétit financier et les puits fuyants sur plusieurs continents sont pourtant bien connus.

Le Devoir rapporte aussi qu'Hydro-Québec a cédé au privé ses droits de prospection pétrolière à Anticosti en échange d'un montant que l'on ne daigne même pas divulguer à ces contribuables qui n'en finissent plus de se faire tirer la poignée qu'ils ont dans le dos.

Lorsque la famille politique est dysfonctionnelle

Coupable aussi de fermer les yeux devant la cupidité et la privatisation qu'on laisse s'installer dans un système public de santé longtemps considéré comme un des meilleurs au monde.

Parce que le bien commun ne se mesure pas qu'en dollars, coupable depuis 15 ans de laisser reculer le français sur tous les fronts.

Sans surprise, la "sentence" pour l'ensemble de l'oeuvre est dure: le taux de participation aux élections ne cesse de chuter et nombreux sont ceux à rêver d'un vrai renouvellement de la classe politique.

Certains s'accrochent même au moindre nom testé par des sondages commandés par nos empires médiatiques éternellement à la recherche du nouveau Moïse de la droite… François Legault, vous connaissez? Ah oui! Vous aimez? Passionnément! Pourquoi? Ne sais pas.

Alors, ce verdict envers la classe politique, il est injuste? En partie, oui, parce qu'il ignore les élus qui font leur travail avec probité et compétence.

N'empêche qu'il y a quelque chose de vrai dans ce verdict et qui transcende les individus, voire les frontières.

Ce quelque chose, le voici: la rapacité des uns, nourrie par la complicité tacite de plusieurs gouvernements, rend de plus en plus ténu le lien de confiance entre les citoyens et leurs élites politiques et d'affaires. Et donc, la méfiance s'installe.

Or, pour citer la philosophe Michela Marzano (1), "une société sans confiance est une société sans squelette".

Car la confiance "renvoie à l'idée qu'on peut se fier à quelqu'un ou à quelque chose. Le verbe confier (du latin confidere: cum, "avec" et fidere, "fier") signifie qu'on remet quelque chose de précieux à quelqu'un, en s'abandonnant à sa bienveillance".

C'est ici que le bât blesse. Dans cette impression flottante de déconstruction du bien commun faisant que les citoyens ne peuvent plus trop se "fier" à ceux qui les dirigent.

Revenons au gaz de schiste. Non seulement le gouvernement brade le tout au privé en tentant de faire croire qu'il lui laisse tous les "risques", mais ce sera même avec Lucien Bouchard – rien de moins qu'un ancien premier ministre -, que le principal lobby de cette même industrie tentera de vous convaincre de jouer dorénavant les "porteurs" de gaz!

C'est même une compagnie albertaine, Talisman Energy Inc., qui couvrira la rémunération de M. Bouchard. Ça ne se garde même pas une petite gêne…

Bref, dans le gaz de schiste, tout baigne dans l'huile et le pouvoir y est soluble. D'où l'appui d'un PM libéral et ex-chef conservateur, d'anciens attachés libéraux recyclés dans l'industrie, d'un ex-premier ministre péquiste et ex-ministre conservateur embauché comme vendeur-en-chef de gaz pour succéder à son ami André Caillé, ex-pdg d'Hydro-Québec nommé à l'époque par le même Lucien Bouchard après avoir dirigé Gaz Métro, etc. On dirait presque de la peinture à numéros. Et ce, sans compter les ramifications d'affaires à l'étranger.

Coudonc. Elle est peut-être là, la vraie "famille" politique québécoise d'aujourd'hui. Du moins, celle qui gravite autour du pouvoir. Quand l'argent du privé appelle, la famille répond d'une seule voix.

(1) Michela Marzano, Le contrat de défiance, Paris, Grasset, 2010.