Voix publique

L’"argent" et des "votes ethniques"?

Cinq ans après sa première victoire minoritaire, tous les sondages placent le gouvernement Harper à un poil, ou deux, d'une majorité. Au point où ça sent de plus en plus la "tendance lourde"…

L'ineptie du Parti libéral (PLC) sous Michael Ignatieff y est sûrement pour quelque chose. À preuve: les avancées continues des conservateurs en Ontario… Sans compter aussi que le scandale des commandites lui donne zéro crédibilité dès qu'il tente la moindre critique, même fondée, de l'éthique de plus en plus chancelante du gouvernement Harper.

Mais ce facteur n'explique pas tout.

La recette de la potion magique de Stephen Harper est ailleurs. Elle est dans ses deux principaux ingrédients: l'argent et les communautés culturelles.

Eh oui. Les conservateurs ont carrément volé l'ancienne recette du succès des libéraux!

L'argent

En politique, l'argent est le nerf de la guerre. Pas toujours, mais souvent. De fait, il le devient de plus en plus. Et dans ce domaine, le Parti conservateur du Canada (PCC) est devenu une redoutable machine.

Petit rappel: dès que les libéraux furent sonnés par le scandale des commandites et le financement frauduleux du parti qu'il avait révélé, Harper et ses disciples multiplièrent les collectes de fonds auprès de certaines clientèles libérales devenues soudainement orphelines.

Leur stratégie: pratiquer un "clientélisme chirurgical" (1). Leur première cible, hormis la base traditionnelle de la droite issue de l'ancien Reform Party et de l'Alliance canadienne: le milieu des affaires.

Puis, les conservateurs visèrent certaines communautés ethniques et religieuses aux valeurs socialement plus "conservatrices".

Cette stratégie fut d'une grande efficacité. Au point où en 2009, le PCC réussissait à collecter 17,1 millions de dollars auprès de 101 000 donateurs. Or, en même temps, le PLC, autrefois si riche et si puissant, se contentait de 12 millions donnés par seulement 37 500 Canadiens.

La "base" de donateurs libéraux avait fondu comme neige au soleil.

Mais attention. Dans cette guerre de l'argent et pour l'argent, Harper conserve aussi une arme de destruction massive dans sa poche arrière. Cette arme, c'est sa promesse d'éliminer les subventions de l'État aux partis politiques s'il vient à former un gouvernement majoritaire.

Pour les libéraux, ce serait une perte de plus de 7 millions de dollars! Alors, n'en doutez point, cette arme, une fois dégainée, risque de porter un coup fatal au Parti libéral. Lequel, par hasard, est le seul autre parti capable de former un gouvernement…

Des "votes ethniques"

Avant même la première victoire des conservateurs en janvier 2006, Jason Kenney – un fidèle de Harper dont il a fait son ministre de l'Immigration – l'avait persuadé qu'à terme, les communautés ethniques détenaient la clé de sa majorité.

Surnommé par la communauté chinoise le "Bouddha souriant" (Smiling Buddha) (2), Kenney est l'artisan de la stratégie de grande séduction et de levées de fonds ciblées auprès des communautés culturelles hors Québec. Une stratégie payante. Très payante.

Au point d'ailleurs où, en 2008, alors qu'une vaste majorité de Québécois tournaient le dos pour de bon au PCC, l'ex-gourou de Harper, le politologue Tom Flanagan, se fendait d'un article fort révélateur dans le Globe and Mail.

Parlant du gros "X" qu'il fallait faire sur un Québec ingrat et impossible à satisfaire (3), il avançait que dans ces conditions, le vote dit "ethnique" serait dorénavant le seul capable de livrer une majorité à Harper.

Jason Kenney ne s'était donc pas trompé…

La question est maintenant de savoir si, lors d'une prochaine élection générale, les conservateurs réussiront ou non à gagner le gros lot d'une victoire majoritaire en jouant l'ancienne combinaison gagnante des libéraux: l'argent, les communautés culturelles et, ne l'oublions surtout pas, de grands pans de l'Ontario échappés depuis par ces mêmes libéraux.

Cette réponse, nous l'aurons d'ailleurs peut-être dès ce printemps…

Or, si cette réponse est "oui", le Parti libéral pourrait se retrouver amputé rapidement de plusieurs millions de dollars en subventions publiques.

Et si cela venait à se produire, Harper aurait de bien meilleures chances d'atteindre enfin son objectif ultime: détrôner le PLC comme "natural governing party of Canada" – le parti "naturel" du pouvoir.

C'est alors que le Canada vivrait le virage à droite le plus marqué de toute son histoire moderne. Lequel serait d'autant décuplé s'il fallait qu'en plus, les républicains reprennent la Maison-Blanche en 2012…

Or, vous me direz, rien n'est encore tout à fait joué. Ni à Ottawa, ni à Washington. Vous avez raison.

Mais en attendant, ça sent de plus en plus les grandes manouvres de l'autre côté de l'Outaouais.

Et, que voulez-vous? Ça manque sérieusement de tonus du côté des libéraux…

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(1) http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2008/09/17/le-client-233-lisme-chirurgical.aspx

(2) Source:  http://www.theglobeandmail.com/news/politics/jason-kenney-searching-for-a-tory-majority-along-the-ethnic-beat/article1450178/

(3) Source: http://www.theglobeandmail.com/news/politics/courting-the-fourth-sister/article722601/

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(*) Le titre de cette chronique paraphrase la tirade controversée, connue de tous, de Jacques Parizeau, prononcée le soir du 30 octobre 1995.