Voix publique

Lâcher la proie pour l’ombre?

Dernière semaine de campagne. Dernier droit.

Au Québec, derniers jours de réflexion pour un électorat en apparence tenté par un NPD aux allures soudainement séduisantes de "changement".

Produit d'un dégoût certain des effluves de corruption émanant de la grisaille politique ambiante tout comme d'une certaine fatigue face à un Bloc dont on dit qu'il est "usé", cet engouement pour Jack Layton a néanmoins un petit air de déjà vu.

Cette "tentation" n'est pas sans rappeler celle de 2007. Le rejet combiné de Jean Charest et d'André Boisclair s'était alors terminé sur le couronnement de Mario Dumont comme chef de l'opposition officielle.

Bref, quand le goût du "changement" prend, qu'il se conjugue à gauche ou à droite, semble importer peu. Méchante énigme à décrypter pour les futurs historiens.

Le chat guette les souris…

Quant à l'élection fédérale, ce phénomène de "rejet" englobe au Québec autant les conservateurs que les libéraux. L'élément nouveau est que selon certains sondages, dont les méthodologies sont de plus en plus à géométrie et exactitude variables, il pourrait s'étendre jusqu'au Bloc. D'où l'inquiétude visible de Gilles Duceppe.

Car si les appuis au Bloc ont en effet reculé depuis 1997, ils demeuraient néanmoins suffisants pour en faire LA force politique québécoise à Ottawa.

La raison: après la défaite du référendum de 1995 et la mise en veilleuse de la souveraineté par Lucien Bouchard, Gilles Duceppe avait réussi à réaligner le mandat du Bloc sur la "défense des intérêts du Québec" à Ottawa.

Le Bloc demeurant un parti souverainiste et de centre gauche, il a également su jouer sur tous ces tableaux en même temps.

Mais à mesure que s'éloigne la possibilité d'un autre référendum, sa pertinence dans ce département perd des plumes. Même chose du côté "centre gauche" au moment où M. Layton lui livre une lutte féroce sur ce terrain.

La campagne terne et ronron petit patapon du Bloc n'a pas aidé non plus. Sans compter cette question nationale de plus en plus présentée dans certains médias comme une vulgaire relique du passé. Un "passé" pourtant récent, mais inconnu des plus jeunes et oublié des plus vieux…

Quant aux sondages, ils mesurent l'opinion publique immédiate autant qu'ils peuvent la nourrir.

Pendant ce temps, Harper, plus discret que jamais, tel un chat patient, attend de voir ce qu'il restera le 3 mai des trois souris de l'opposition tellement occupées maintenant à se battre entre elles qu'elles en oublient presque le chat qui les guette…

Mais dans les faits, même pour Stephen Harper, il devient difficile de prévoir ce que produiront comme résultat final les multiples duels Bloc-NPD au Québec ou NPD-PLC et PLC-PCC dans le reste du pays.

Au-delà de la "fatigue"…

Or, la question se pose: aux prises avec ce constat global, la fatigue, des sondages étourdissants et des chefs trop ou pas assez "souriants" selon ce qu'on répète ici et là de manière parfaitement superficielle, les Québécois seraient-ils en train de lâcher la proie pour l'ombre?

Ou, dit autrement: iront-ils ou non vers le NPD – un parti national qui, par définition, doit arbitrer des intérêts régionaux divergents et souvent contradictoires?

Comment pourrait-il alors se faire la voix, la vraie, des intérêts du Québec à Ottawa et face au ROC?

Cette semaine, le Bloc sonnait le rappel du vote souverainiste pour tenter d'endiguer cette montée du NPD. Pourtant, les Québécois savent d'instinct que l'horizon référendaire continue de s'éloigner. Avec ou sans gouvernement péquiste d'ici deux ans.

Mais n'est-ce pas justement parce qu'un référendum est peu probable dans les prochaines années que le Québec aura encore plus besoin d'une voix "spécifique" pour exprimer ses propres besoins à Ottawa? Qu'ils soient politiques, culturels ou économiques?

Cela étant dit, l'enjeu fondamental de cette élection demeure celui d'une minorité ou d'une majorité conservatrice sous Harper. Un enjeu qui, avec la chute des libéraux et la division exacerbée du vote non conservateur, se décidera aussi en Ontario, en Colombie-Britannique et dans les Maritimes.

Ici, la montée du NPD ajoute toutefois un nouvel enjeu à l'assiette déjà fort garnie de chaque électeur: choisir en même temps quel parti portera sa voix "distincte" à Ottawa pour les prochaines années.

Les sondages des uns et les boules de cristal des autres sont une chose. Mais le choix final, le vrai, ne sera connu que le 2 mai au soir.

Quel que soit ce choix, il sera légitime. La voix du peuple est souveraine. L'important est d'aller voter.

C'est alors que l'on saura si le Québec désire ou non – pour reprendre l'expression du stratège libéral John Duffy – "normaliser" sa participation au sein du Canada en accordant sa confiance à un parti national.

Si oui, le réalignement des planètes politiques, ici et au Canada, risque d'être spectaculaire et ses effets, proprement imprévisibles…