Voix publique

Le rouleau compresseur

L'Ontario a donné sa majorité à Stephen Harper. Le Québec a donné l'opposition officielle à Jack Layton.

Mais au plan idéologique, sous Harper – un pur produit de l'"école de Calgary" du Reform Party et de l'Alliance canadienne -, c'est l'Ouest canadien qui vient de planter son drapeau "majoritaire" à Ottawa.

C'est d'ailleurs précisément ce que visait le Reform Party dès 1987 avec son slogan: "The West Wants In". La chose est maintenant faite.

La joute nationale se jouera donc sur un puissant axe Ontario-Alberta. Bienvenue au réalignement spectaculaire des planètes politiques.

L'ironie, ici, étant que le Québec y a contribué puissamment.

En pulvérisant le Bloc et en misant sur le NPD à hauteur de 58 députés sur 75, il a abandonné sa voix "distincte" à Ottawa tout en se joignant à une opposition certes nationale, mais dont l'influence sera très limitée.

Car si le NPD a toutes les raisons de célébrer sa percée historique, le fait est qu'il détenait nettement plus de pouvoir lorsque les conservateurs étaient en minorité qu'il n'en aura dorénavant face à leur majorité.

Plusieurs se réjouissent également de voir l'axe gauche-droite balayer l'axe souverainiste-fédéraliste. Or, le prix à payer pour ce balayage est un gouvernement Harper majoritaire avec les deux mains posées fermement sur le volant canadien. Si vous me passez l'expression…

Fermer boutique?

Le Bloc étant réduit à un mini-caucus de quatre députés, finira-t-il ou non par fermer boutique?

Quant à Gilles Duceppe, l'Histoire saura sûrement se montrer beaucoup plus généreuse envers lui que ne le fut le résultat désastreux du 2 mai 2011.

Avec l'effondrement du Bloc, le mouvement souverainiste est donc de retour à sa case d'avant-Meech.

Ce qui, par contre, place le PQ face à son destin et sa raison d'être.

Car si autant de Québécois, incluant des souverainistes qui le sont toujours, ont tourné le dos au Bloc, n'est-ce pas en partie parce que depuis 1996, aucun référendum ne se pointe à l'horizon?

Et que dans les faits, la "gouvernance souverainiste" de Mme Marois n'a rien de très enlevant?

C'est comme si le NPD, soudainement séduisant sur d'autres plans, devenait aussi tout à coup une option "en-attendantiste" de plus. Une option attirante "en attendant" ce Grand Soir qui se fait attendre.

Et combien de francophones ont simplement choisi de donner une chance à Jack Layton (1). Un Jack Layton progressiste face à la droite redoutée de Harper, intègre et promettant aussi de créer les "conditions gagnantes du Canada au Québec"…

Et combien d'anglophones, rassurés par le recul du Bloc, se sont aussi sentis dédouanés de leur vote captif pour les libéraux?

Seul l'avenir dira combien de souverainistes qui ont voté NPD le seront encore d'ici quelques années. D'autant que l'appui massif que ce parti vient de recevoir au Québec lui permettra de bâtir ici une organisation plus solide sur le terrain. Sans compter sa force d'attraction auprès des jeunes.

Le PQ serait sage d'y réfléchir.

Mais attention. La longueur de la lune de miel du couple Québec-NPD dépendra aussi de la capacité de M. Layton à se faire la nouvelle voix du Québec à Ottawa. Après tout, avec 60% de son caucus venant d'ici, son statut d'opposition officielle, le NPD le doit aux Québécois.

Or, même si M. Layton voulait se montrer "reconnaissant", il n'aura pas le pouvoir de le faire. Surtout, il risque de frapper tout un mur au Canada anglais, fortement opposé à tout traitement spécial pour le Québec.

Au cours du mandat, la realpolitik fera aussi son ouvre.

Grâce à ses coffres débordants, son clientélisme chirurgical, sa séduction ciblée de communautés culturelles et de groupes religieux, son contrôle de l'information, ses publicités agressives répétées, son mépris pour le Parlement, sa majorité au Sénat et le vote non conservateur divisé, M. Harper aura enfin atteint son inaccessible étoile: le pouvoir sans partage.

Avec sa nouvelle majorité, la dégringolade du PLC et l'écrasement du Bloc, cette élection fut un véritable tour du chapeau pour Harper!

Majoritaire, il tentera aussi d'étouffer financièrement les libéraux et le NPD en mettant fin au financement public des partis.

Bien des Canadiens craignent une majorité conservatrice. Ils ont raison.

Car M. Harper est aussi patient que déterminé. Il sait qu'il devra "habituer" les Canadiens, à petites doses, à une culture politique plus axée sur l'individualisme, le marché et des valeurs sociales plus conservatrices.

Ce mandat-ci servira à cela. Et s'il obtient un second mandat majoritaire, en 2015, ils verront son ultraconservatisme se déployer encore plus.

Pourtant, une fusion PLC-NPD d'ici la prochaine élection ouvrirait d'autres voies…

Sinon, avec un Bloc hors jeu, le risque pour le NPD et le PLC est que le rouleau compresseur de M. Harper finisse par leur passer sur le corps.

Quant au Québec, lequel, de toute manière, avait déjà tourné le dos aux libéraux et aux conservateurs, le NPD lui servira de nouveau laboratoire politique dans ses rapports avec le ROC.

Une "expérience" dont les conclusions seront peut-être connues plus vite qu'on ne le croit…

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Addendum: 

(1) Sur cette question complexe du «pourquoi» cet appui aussi phénoménal que soudain de 43% des électeurs québécois au NPD, deux autres facteurs possibles ne sont pas à négliger.

Le premier: les sondages. La science politique et l'histoire nous enseignent que les sondages sont des outils dont l'usage est multiple. Et, que dans certaines circonstances, il peut leur arriver de mesurer une opinion publique immédiate tout en la nourissant. 

Un autre facteur possible – corollaire par ailleurs au premier – est celui-ci: http://www.ledevoir.com/politique/elections-2011/322537/l-influence-des-urnes-et-des-medias