Voix publique

Un homme chanceux

Plusieurs se souviendront de cette fameuse publicité du Club Med. On y montrait une plage magnifique pendant 30 secondes pour finir sur un très suggestif "Imaginez une semaine!".

Pour la paraphraser sur un thème moins plaisant: Stephen Harper gouvernera en majoritaire jusqu'en 2015; maintenant, imaginez huit ans…

Pourquoi huit ans? Essentiellement pour deux raisons.

La première est l'entêtement masochiste du NPD et du Parti libéral du Canada (PLC) à refuser toute fusion ou coalition d'ici la prochaine élection.

Maintenant que Jack Layton est chef de l'opposition officielle, il est persuadé qu'un jour, le NPD pourra à lui seul prendre le pouvoir.

C'est pourtant une impossibilité mathématique. Prendre l'opposition officielle grâce à la pulvérisation-surprise du Bloc est une chose. Mais penser défaire les conservateurs sans le PLC tient du délire.

Même chose au PLC. On y semble tout autant convaincu de pouvoir terrasser seul la grosse machine bleue de Harper avec un nouveau chef.

Ce faisant, le NPD et le PLC commettent une grave erreur stratégique face à une droite unie sous Harper depuis la fusion de l'Alliance canadienne et du Parti progressiste-conservateur.

Espérer que sans alliance, le NPD ou le PLC puisse renverser Harper maintenant qu'il est majoritaire, c'est croire au père Noël, à la fée des étoiles et aux Elohim en même temps… C'est offrir sur un plateau d'argent au premier ministre une deuxième victoire majoritaire en 2015.

Beaucoup d'encre a coulé sur le "grand stratège" qu'est Stephen Harper – un idéologue entêté doublé d'un tacticien aussi méticuleux, patient et déterminé qu'un tigre surveillant une gazelle.

Or, on oublie que la chance lui a aussi beaucoup souri depuis 2004 avec un Parti libéral croulant sous le scandale des commandites, dix ans de luttes intestines et trois chefs successifs d'une inaptitude sidérale.

Il a su profiter de l'extrême faiblesse de ses adversaires. Mais avouons qu'avec le refus du NPD et du PLC de s'unir face à sa nouvelle majorité, Harper demeure un homme chanceux. Très chanceux.

Où sont les intellectuels?

Mais profiter de la faiblesse de l'adversaire ne lui suffit pas. Le Bloc étant rayé de la carte, il passe à la prochaine étape.

Maintenant que les libéraux ont perdu l'opposition officielle, Harper entend les faire périr par où ils ont péché: l'argent!

Armé d'une majorité de sièges, il pourra tenir sa promesse de mettre fin aux subventions publiques directes aux partis en ne laissant que les déductions d'impôt pour les dons faits par des particuliers.

Et voilà la seconde raison de sa possible prochaine victoire majoritaire.

Car ce geste favorisera fortement un Parti conservateur devenu une redoutable machine à ramasser de l'argent. Comme il étalera le coup sur les prochains trois ans, le résultat sera qu'à un an de la prochaine élection, les libéraux, déjà privés des ressources de l'opposition officielle, crieront famine.

C'est ce que j'appelle la dernière étape pour retirer au PLC son statut historique de "natural governing party" du Canada.

On ne s'en sort pas. Poser un geste aussi radical pendant que les coffres des conservateurs débordent affaiblira la démocratie canadienne pour longtemps.

Ce faisant, on coulera aussi dans le béton l'influence à Ottawa d'une longue brochette de groupes d'intérêts d'affaires et religieux, dont les membres donnent de plus en plus au Parti conservateur.

D'ici trois ans, tout ce qui bouge idéologiquement à Ottawa au centre et au centre gauche se retrouvera étouffé financièrement.

Or, où sont les intellectuels du Québec et du Canada pour dénoncer un geste aussi radical et antidémocratique? Quel est ce silence assourdissant?

En 2008, les artistes se sont mobilisés contre l'approche hostile des conservateurs à l'endroit de la culture. Mais en 2011, où sont les intellectuels? L'enjeu n'est-il pas celui de l'exercice même du jeu démocratique?

Dans un texte récent, l'ex-conseiller de M. Harper, Tom Flanagan, poussait l'ironie jusqu'à prétendre que l'élimination des subventions aux partis était en fait un cadeau que le premier ministre leur faisait…

Selon Flanagan, cette strangulation financière du PLC, du NPD et du Parti vert leur fera réaliser qu'"il n'y a simplement pas assez de place au Canada pour trois partis de centre gauche".

L'élection de 2015, à laquelle ces partis arriveront appauvris, leur montrerait ainsi qu'"il n'y a pas de place financièrement, non plus"!

Ce jour-là, concluait-il, ils devront remercier Harper de leur avoir fait comprendre, en leur coupant les vivres, que sans alliance, ils ne pourront jamais défaire la droite unie sous les conservateurs.

C'est ce qu'on appelle dans une cour d'école un vrai p'tit baveux. Mais un p'tit baveux qui sait de quoi il en retourne dans le bureau du principal…

Tom Flanagan parle spécifiquement de la prochaine élection avec des partis d'opposition appauvris et encore divisés entre eux.

Eh effet. Si le NPD et le PLC s'entêtent chacun de son côté à surestimer sa propre force, les Canadiens risquent d'être soumis à un second mandat de gouvernement conservateur majoritaire.

Minimum…