Voix publique

Le fond des choses

Il arrive parfois qu'une crise politique, aussi spectaculaire soit-elle, en cache une autre. Un peu à la manière des poupées russes.

Il en va ainsi de l'onde de choc déclenchée par la démission des députés péquistes Lisette Lapointe, Pierre Curzi et Louise Beaudoin.

À première vue, la faute revenait à la décision de Pauline Marois d'imposer à son caucus un projet de loi privé donnant le bon Dieu sans confession au maire Régis Labeaume et son entente avec Quebecor pour la gestion d'un nouvel amphithéâtre.

Le tout, au détriment des exigences de transparence les plus élémentaires.

Se voyant obligés de brader leurs principes pour une poignée de votes à Québec, bien des députés ont avalé de travers.

Puis, les démissionnaires ont invoqué le "malaise démocratique" ambiant et leur goût de faire de la politique "autrement". Appelons-ça l'"effet Amir Khadir".

C'était couru d'avance. Le député de Québec solidaire est partout et s'attire l'admiration pour ses confrontations avec des élites gloutonnes et des lobbystes profiteurs du bien public. Le contraste avec un PQ soudé à son projet de loi labeaumisé était dévastateur.

Et maintenant, Jean Charest rayonne de joie d'avoir reporté à l'automne le projet de loi privé. Mme Marois en aura pour des mois à nettoyer les dommages collatéraux.

Sans oublier le tsunami orange, l'anéantissement du Bloc et le retour possible de François Legault déjà venus s'ajouter à cette marmite bouillonnante…

Le désaveu

Mais attention. Derrière le tout se cache une autre crise. L'ultime et la plus significative pour le PQ. Celle de sa raison d'être.

Et là, nous arrivons au fond des choses: à quoi doit servir le pouvoir?

Le PQ veut-il le pouvoir pour le pouvoir? Ou le veut-il comme outil premier de promotion et de réalisation de son option?

Pour les démissionnaires, Mme Marois pencherait plus vers le premier scénario. D'où la présence très publique de Jacques Parizeau, venu appuyer son épouse, Lisette Lapointe, le jour de sa démission.

Ce geste, il est à marquer d'une pierre blanche. Car il constituait un désaveu final de la "gouvernance souverainiste" proposée par Mme Marois. Une approche, dans les faits, plus autonomiste que souverainiste.

M. Parizeau avait pourtant laissé tomber quelques indices quant à son désaccord sur cette question centrale. En juin 2010, en entrevue avec le Globe and Mail, il avait dénoncé cette même "obsession" du pouvoir dont parlaient les députés démissionnaires.

Ce faisant, l'ex-premier ministre disait tout haut ce que bien des gens pensent tout bas.

En attendant…

C'est que depuis le référendum de 1995, les Québécois ont pris l'habitude d'entendre les chefs péquistes parler du "pays" tout en refusant de lever le petit doigt pour le préparer concrètement.

À l'instar de l'"affirmation nationale" de Pierre Marc Johnson, les "conditions gagnantes" de Lucien Bouchard, l'"assurance morale de gagner" de Bernard Landry et la "gouvernance souverainiste" sont toutes des formules servant à reporter à plus tard la promotion active de l'option souverainiste.

Quant au jeune député démissionnaire Jean-Martin Aussant, son constat est sans pardon. Mme Marois, dit-il, devrait partir parce qu'elle ne fera jamais partie de la courte "liste des libérateurs de peuples".

De fait, le vrai problème réside dans la profonde contradiction dans laquelle le PQ et ses chefs s'enferment de plus en plus en jurant dur comme fer que pour réaliser l'indépendance, il faut commencer par prendre le pouvoir…

Or, depuis 1996, les chefs ont nettement préféré "être au pouvoir". Point. Résultat: de moins en moins de Québécois, même parmi les 40% qui en souhaitent l'avènement, pensent que l'indépendance se fera un jour.

Mais rien n'y fait. Mme Marois martèle ce même mantra du "il faut prendre le pouvoir pour faire la souveraineté". De toute évidence, elle ne voit pas le scepticisme que cela soulève dans la population et ses propres rangs.

Certes, les démissions de cette semaine sont le révélateur d'une crise de leadership au PQ. Mais aussi d'une confiance vacillante en sa volonté de prendre le pouvoir pour autre chose que de gouverner pour gouverner.

Du moment où le PQ, dès qu'il hume le parfum du pouvoir, se met lui-même à traiter son option comme un "boulet", comment peut-il blâmer les autres de le penser aussi?

N'est-ce pas là, en fait, ce que les démissionnaires sont venus dire dans l'espoir que leur démission servira de thérapie de choc à leur parti?

Or, pour que la thérapie fonctionne, il faudrait que le patient commence par reconnaître qu'il a un problème. Ce qui semble loin d'être fait.

À preuve, ces mots de Mme Marois tirés de son autobiographie: "chaque fois que nous demandons au peuple québécois de faire le dernier pas pour que nous soyons enfin responsables de tout, il prend peur et recule".

Et si ce n'était pas le "peuple" qui prend peur, mais plutôt ceux qui ne veulent plus vraiment se préparer à lui poser la question?