Voix publique

Les noces d’or

La chose est connue. En politique, les perceptions ont souvent le dessus sur la réalité.

Un exemple parmi d'autres: l'an dernier, le Bloc était vertement critiqué pour avoir fêté ses "20 ans" d'existence. Ce qui, selon certains commentateurs, aurait rappelé aux électeurs à quel point il était devenu un "vieux" parti…

Or, lors de son congrès des 17-18-19 juin, le NPD fêtait son 50e anniversaire sous des airs rajeunis de "nouveauté" et de "changement"!

C'est qu'il y a tout de même quelque chose de vraiment "nouveau" malgré tout ce Botox politique.

Le "nouveau", c'est l'élection étonnante d'une opposition officielle néo-démocrate grâce à l'écrasement du Bloc et une percée historique du NPD au Québec avec son lot spectaculaire de 59 députés sur 75.

Ce fut là tout un cadeau des Québécois pour les noces d'or du NPD – ce parti né en 1961 de l'alliance de la Cooperative Commonwealth Federation (CCF) et du Congrès du travail du Canada. N'y manquait que le champagne.

Petit rappel historique: la CCF fut fondée en 1932 en pleine Grande Dépression à Calgary – aujourd'hui le fief de la droite canadienne!

Définie comme "socialiste" à l'époque, la CCF était surtout avant-gardiste. Sa vision était celle d'une économie "mixte" de marché et d'un État-providence dont la mission serait de nationaliser certaines industries-clés tout en assurant une plus grande justice sociale par la création de régimes universels d'assurance-maladie, de pensions, d'assurance- chômage, etc.

Plusieurs partis fédéraux et provinciaux allaient d'ailleurs s'en inspirer au cours des décennies suivantes. Incluant, à divers degrés, le PLC, le PLQ et le PQ des années 60 et 70.

Comme quoi, tout est dans tout…

La quadrature du cercle

Mais comme la droite monte et que les mots perdent de plus en plus leur sens, même le mot "socialiste" fait peur. Un peu plus et on ferait croire que Tommy Douglas de la CCF, le père de l'assurance maladie canadienne et le premier chef du NPD, était un dangereux "radical"!

D'où cette résolution présentée au congrès du NPD demandant au parti de troquer son identité "socialiste" pour celle de "social-démocrate". Question de ne pas trop prêter flanc aux attaques des ultraconservateurs de Harper.

Devant des délégués divisés sur cette question en effet "identitaire", la décision fut toutefois remise à plus tard. Mais il est évident que pour consolider ses appuis, Jack Layton finira par changer d'étiquette.

L'important sera de voir jusqu'où ce changement pourrait ou non amener le NPD à diluer ses principes fondateurs…

Dans cette même quête électoraliste, Jack Layton – devenu lui-même la marque de commerce du NPD – devra aussi trouver le moyen de concilier les attentes de ses nouveaux électeurs québécois avec celles du ROC.

Grosse commande! Peut-être même impossible à livrer.

Car même si Jack Layton doit au Québec son nouveau statut de chef du "gouvernement en attente", ses promesses pour la création de "conditions gagnantes pour le Canada au Québec" frappent déjà un mur.

Le mur est celui d'un Canada anglais profondément opposé à tout traitement spécial pour le Québec. Petit, moyen ou grand.

L'avertissement fut d'ailleurs servi au NPD dès les jours suivant l'élection du 2 mai. Une brochette d'éditoriaux de grands quotidiens canadiens-anglais l'invitant à se calmer le pompon avec le Québec…

De toute façon, le NPD n'a aucun pouvoir de faire bouger un gouvernement Harper majoritaire. Que ce soit pour le Québec… ou les syndiqués de Postes Canada.

En fait, s'il ambitionne de prendre un jour le pouvoir, M. Layton sait fort bien qu'il perdrait des votes à la pochetée au Canada anglais dès qu'il se montrerait un tantinet trop gentil envers le Québec.

Bref, veut veut pas, le NPD est dorénavant pris entre l'arbre québécois et l'écorce du ROC.

Jack Layton fera sûrement de beaux yeux aux Québécois, mais la realpolitik canadienne l'empêchera de livrer une marchandise le moindrement substantielle. Qu'il soit ou non au pouvoir.

Parlant de pouvoir, le NPD, seul, ne peut même pas y rêver. Pas devant la droite unie sous Harper.

Sans coalition ou alliance du NPD avec le PLC d'ici la prochaine élection, Stephen Harper a même d'excellentes chances de rester au pouvoir, majoritaire, pendant longtemps. Très longtemps.

Or, si les délégués néo-démocrates n'ont pu trancher l'épineuse question "socialiste vs social-démocrate" à leur congrès, ils ont eu l'immense sagesse de laisser la porte ouverte à un éventuel dialogue avec un Parti libéral sorti fort amoché de la dernière élection.

Ce qui, par contre, les ramène à la quadrature du cercle.

À savoir comment satisfaire son nouvel électorat québécois pour le conserver tout en évitant d'éveiller la grogne au Canada anglais?

N'est-ce pas là ce qu'on appelle "la question qui tue"?