Voix publique

Amir dans la mire

Ça saute aux yeux. La dynamique politique au Québec est sens dessus dessous.

Il y a six mois, le Bloc et le PQ caracolaient dans les sondages. Jean Charest n'était plus sortable. François Legault se faisait larguer par Joseph Facal. Et Amir Khadir était le politicien le plus populaire du Québec.

Aujourd'hui, le Bloc n'est plus qu'un souvenir. Le NPD compte ici 59 députés sur 75. Le PQ craque de partout pendant que François Legault et Charles Sirois se tricotent patiemment un nouveau parti.

Quant à M. Charest, après sa tournée des capitales européennes avec son Plan Nord sous le bras, il revenait poser aux côtés du jeune couple royal aussi heureux qu'un poisson rouge dans son aquarium.

Et Amir Khadir? Selon le "baromètre des personnalités" de Léger Marketing paru le 13 juin, il aurait perdu de sérieuses plumes.

Ce qui fit dire au président de la firme, Jean-Marc Léger, que "les gens commencent à en avoir marre" et que le député de Québec solidaire (QS) devrait cesser son "trip d'ego"! De bien gros mots pour un sondeur.

Hormis son boycottage incompréhensible d'un simple marchand parce qu'il vend des chaussures faites en Israël, que s'est-il donc passé pour qu'Amir Khadir passe aussi vite d'ange à démon? Du moins, pour certains.

Dans sa confrontation avec Lucien Bouchard, n'a-t-il pas simplement dit tout haut ce que bien des citoyens pensent tout bas? Soit que l'ancien PM sert les intérêts de l'industrie du gaz de schiste et non ceux du Québec.

Dans le dossier de l'amphithéâtre de Québec, a-t-il fait autre chose que de défendre la transparence dans l'octroi de contrats publics?

Des critiques de plus en plus dures

L'opinion publique est changeante par les temps qui courent. C'est le moins qu'on puisse dire. Or, tout bon politologue ou historien ajoutera qu'il arrive aussi qu'on l'aide un tantinet à changer.

Prenez la cabale radio-télé-journaux d'un certain porte-parole du Réseau Liberté-Québec qui ne cesse de faire passer Khadir pour un quasi communiste aux présumées sympathies islamistes. Quoique l'on puisse douter de l'efficacité de telles caricatures…

Puis vint la critique cinglante du nouveau président du PQ, Raymond Archambault, dans les pages du Devoir. Doutant des convictions souverainistes de Khadir pour avoir voté NPD, il appelait à ne pas voter QS à la prochaine élection.

Vint aussi une chronique cartoonesque de Denise Bombardier. Outrée par ses propos sur M. Bouchard – encore le chouchou d'une certaine élite bien à son aise -, elle traita Khadir de machiste. Ce qui valut à Mme B. une réponse de la présidente de QS, Françoise David, sous forme de volée de bois vert.

Traiter la monarchie de "système parasitaire" a même mérité à M. Khadir de se faire soupçonner par deux ministres libérales d'inciter à la violence.

Et qui peut oublier le maire Labeaume? En colère de voir bloqué son projet de loi privé sur la gestion de l'amphithéâtre, il s'exclama: "Si M. Khadir n'aime pas Quebecor, je lui demande d'aimer un peu les gens de Québec."

Et vlan. D'un coup de cuillère à pot, le maire en faisait un "ennemi" de Quebecor et des gens de Québec, qu'il victimisait face au député du méchant Plateau-Mont-Royal. L'art de nourrir la guéguerre Québec-Montréal.

Et ce ne sont que quelques exemples. Bref, les levées de boucliers se multiplient.

Avec son sens de l'ironie légendaire, même l'écrivain Victor-Lévy Beaulieu – quant à lui à des planètes de cette même élite bien accrochée – lançait que Khadir et ceux qui ont voté NPD "méritent le titre de tontons suprêmes"!

C'est pourtant Legault qui monte…

La dureté des attaques est telle qu'un touriste finirait par croire qu'un peloton de QS s'apprête à envahir le parlement pour y installer le Soviet suprême.

Or, le fait est que c'est François Legault qui monte. Vite et fort. L'homme a droit à toutes les tribunes. Même si son parti n'existe toujours pas.

Pas étonnant qu'avec une telle visibilité, l'impopularité du PLQ et la crise au PQ, ce soit à son tour de caracoler dans les sondages. Et pourtant, les attaques n'ont pas cessé pour autant contre Khadir.

Pour ce qui est du PQ, comme le notait récemment le député démissionnaire Pierre Curzi, il voit QS "comme étant un parti contre lequel il faut s'armer parce que ce sont des compétiteurs".

Mais comment comprendre que tout ce qui grouille, grenouille et scribouille à droite fasse aussi dans le tir groupé contre un député qui ne jouera jamais dans ses talles?

Serait-ce parce que l'appétit vient en mangeant?

Que plus la droite et le centre droit montent – menant possiblement à une fusion Legault-ADQ -, moins ils tolèrent cet électron libre sur leur gauche qui, de surcroît, ose s'en prendre à une élite un peu trop confortable?

Si tel est le cas, pour ou contre, cela n'augure rien de très bon au Québec pour la diversité des voix. Et des voies…