Voix publique

L’héritage

"Life is what happens to you while you're busy making other plans." (*)

– John Lennon

Le décès de Jack Layton n'a laissé personne indifférent.

Lui qui venait tout juste de passer le cap de ses 61 ans, la maladie l'aura privé de la possibilité de donner sa pleine mesure dans son nouveau rôle de chef de l'opposition officielle à la suite de l'élection historique de 103 députés néo-démocrates – dont 59 au Québec seulement.

L'exploit fut herculéen. Mais en fait, il fut le produit d'une combinaison exceptionnelle. Soit celle du travail acharné de Jack Layton depuis son arrivée à la tête du NPD en 2003, d'un sentiment anti-Harper se cherchant une voix articulée, de la désintégration spectaculaire du Bloc et de l'affaiblissement continu du Parti libéral.

Sans compter la "personnalité" de Jack Layton qui, tout à coup, tranchait radicalement sur une scène politique de moins en moins inspirante.

Or, au-delà de son sourire et de son optimisme irréductible – dont on aura beaucoup, beaucoup parlé -, on oublie qu'il y avait derrière le tout une "vision", des idées, des principes, des objectifs.

Une vision certes complexe du politique, mais pouvant se résumer en peu de mots: la défense du bien commun.

Qu'on le dise de "gauche", de "centre gauche", "social-démocrate" ou tout simplement "progressiste", Jack Layton portait, à sa manière, l'héritage du NPD et de son ancêtre – la Co-operative Commonwealth Federation, fondée à Calgary en 1932 en pleine grande dépression.

Cet héritage demeure celui d'une plus grande justice sociale par le biais de politiques favorisant une meilleure répartition de la richesse collective.

Ce même héritage, Jack Layton le laisse aujourd'hui à son caucus et à celui ou celle qui lui succédera.

Il le laisse également à tous ces "jeunes" auxquels il s'adressait dans une lettre rédigée à quelques jours de sa mort: "Plusieurs défis vous attendent, de l'accablante nature des changements climatiques à l'injustice d'une économie qui laisse tant d'entre vous exclus de la richesse collective (…)."

Or, cet appel ultime s'inscrit dans un contexte bien précis – celui d'une "droite" montante et déterminée à consolider ses assises.

À commencer par un gouvernement Harper fort de sa nouvelle majorité, d'une opposition affaiblie par la mort de M. Layton, d'un Parti libéral sérieusement amoché et d'un Bloc décapité.

Et, comme l'appétit vient en mangeant…

Cet été, en toute candeur, aux côtés de son grand ami le nouveau maire de Toronto – lui aussi un ultraconservateur -, Stephen Harper demanda carrément à ses troupes de terminer le "tour du chapeau" en Ontario.

Comment? En faisant élire le Parti conservateur lors de l'élection provinciale qui se tiendra en octobre prochain. Rien de moins!

M. Harper aurait même pu ajouter le Québec à sa liste… Après tout, le PLQ de Jean Charest y opère une remontée face à un PQ affaibli par une des pires crises de son histoire.

Sans oublier François Legault – le nouveau chouchou du milieu des affaires -, fort occupé à engranger les dons et à aiguiser ses patins de futur chef d'un nouveau parti dit de "centre droit".

Dans un tel contexte, la disparition de Jack Layton ne sera pas sans conséquence au pays au moment où, depuis le 2 mai dernier, le NPD est devenu le seul contrepoids "progressiste" au fédéral à jouir de ressources importantes.

La "question" du Québec

Puis, il y a la fameuse "question" du Québec. Paradoxalement, pendant qu'ici, François Legault la jette aux oubliettes de l'Histoire, elle continuera de hanter le NPD à Ottawa…

La raison? Le NPD doit son nouveau statut d'opposition officielle aux Québécois. Point.

Cette "dette" politique a beau être aussi réelle que lourde à porter pour le NPD, la réconciliation des intérêts du Québec avec ceux des autres provinces et du Canada sera une mission quasi impossible.

Même Jack Layton peinait déjà à trouver la manière de régler cette question des plus contentieuses. Alors qu'est-ce que ce sera pour son successeur?

Et pourtant… Au-delà de tout cela, l'héritage de Jack Layton demeurera.

Il demeurera en cette volonté inébranlable de se battre pour une société plus juste et plus généreuse pour tous.

Bref, il vivra dans cet art qu'il avait de pratiquer avec cour, passion et brio ce que l'on appelle aujourd'hui faire de la politique "autrement"…

Il vivra aussi dans ce plaisir, authentique, profond et partagé avec son épouse Olivia Chow, de faire de la politique pour le bien des autres. Et ce, même au-delà de la maladie.

Jack Layton vivra donc par la force de l'exemple qu'il aura lui-même donné.

Celui d'un homme politique déterminé à travailler pour "servir" sa société – et non pas pour "se" servir lui-même…

(*) Traduction: "La vie, c'est ce qui nous arrive pendant qu'on est occupé à se faire d'autres projets", John Lennon