Voix publique

Acharnement thérapeutique

Le cancer serait-il devenu la nouvelle peste du 21e siècle? Les cancéreux seraient-ils devenus les nouveaux pestiférés? Évidemment pas.

Et pourtant…

Plus de trois semaines après le décès de Jack Layton, quelques commentateurs s’insurgent encore de ne pas avoir su la «vérité» sur son état de santé dès avant la campagne électorale du printemps dernier.

Comme quoi il arrive aussi à l’industrie de l’opinion de verser dans l’acharnement thérapeutique.

«Savoir», dit-on, serait une question de «transparence»…

Mais quelle est cette présumée «vérité» que l’on cherche tant à savoir? Qui peut dire avec certitude ce que M. Layton, ou même son propre médecin, savait à ce moment-là?

Quel est ce sacro-saint «droit de savoir», de tout savoir, dont on se réclame?

Et pourquoi joue-t-on au docteur dans les médias en multipliant les diagnostics posthumes des derniers mois de M. Layton? Métastases par-ci. Cancer secondaire par-là. Il a «trop travaillé», disent les uns. Ça le tenait sur l’«adrénaline», disent les autres…

Ne peut-on pas le laisser tout simplement reposer en paix?

On aura même avancé que s’ils avaient «su» d’avance, des milliers d’électeurs n’auraient jamais voté pour le NPD le 2 mai dernier. Ah bon?

Et pourquoi donc? Eh bien, dit-on, parce que plusieurs Canadiens, dont surtout les Québécois, auraient voté NPD exclusivement pour le chef. D’où la déduction téméraire: s’ils avaient «su», plusieurs auraient voté autrement.

Les faits font plutôt état du contraire. Même avec la mort de Jack Layton – difficile d’être plus «transparent» que ça (!) –, le dernier sondage Nanos place le NPD à près de 50% d’appuis au Québec.

Marge d’erreur ou non, les intentions de vote pour le NPD sont spectaculaires.

Transparence ou voyeurisme?

«Droit de savoir» obligeant, des voix réclament aussi que nos politiciens, comme le président américain, diffusent dorénavant leurs bulletins de santé personnels.

Or, rendu là, ce n’est plus de la «transparence». C’est du voyeurisme.

Au fait, est-ce vraiment ce que les citoyens attendent de leurs élus? Exigent-ils d’eux ce que personne ne peut promettre: une santé blindée et garantie pour un ou deux mandats de quatre ou cinq ans?

N’attendent-ils pas plutôt de l’intégrité, de l’audace, de la compétence et du dévouement? Poser la question, c’est y répondre.

Et pourquoi toute cette attention soudaine sur l’impact d’un diagnostic de cancer, quel qu’il soit?

Pourquoi ne pas demander si boire du matin au soir ou consommer des drogues fortes n’affecte pas nettement plus la qualité du travail d’un politicien qu’un cancer?

D’où viennent ces appels absurdes à des boules de cristal médicales capables de tout prévoir? Ne sait-on pas que chaque personne atteinte d’un cancer est unique? Ou que cette maladie est toujours complexe et souvent aléatoire?

Amateurs de prédictions et de science exactes, s’abstenir.

Avoir un cancer agressif devra-t-il dorénavant disqualifier un politicien? Même si elle, ou il, juge être capable de faire son travail?

Informer les citoyens qu’on a le cancer, comme Jack Layton l’a fait dès 2010, devrait pourtant suffire. Ce printemps, il a même juré avoir la capacité de faire campagne. Et il a tenu parole.

Tout dire?

En politique, un diagnostic de cancer oblige-t-il à TOUT dire? Incluant ce que la personne atteinte ne sait même pas elle-même?

Ce serait pourtant injuste et discriminatoire de l’exiger. Sans compter que les citoyens en perdraient parfois des élus de qualité capables de les servir tout en vivant avec la maladie.

Lorsque le cancer frappe, certains doivent arrêter de travailler. D’autres choisissent de le faire. D’autres encore, continuent. C’est aussi vrai pour un plombier que pour un chef de parti.

Qui sommes-nous pour juger de la situation de chacun? Qu’en savons-nous, vraiment?

Les citoyens ont actuellement des chefs politiques «en santé». Cela les rend-il automatiquement compétents, intègres et dévoués au bien commun?

Lorsque Robert Bourassa apprit en 1990 qu’il avait un cancer très agressif et comportant, s’il s’en sortait, un haut risque de récidive, aurait-il dû démissionner comme certaines plumes vinaigrées l’écrivent aujourd’hui au sujet de Jack Layton? Bien sûr que non.

Il se savait capable de faire son travail et avait l’espoir d’y survivre. Pour combien de temps? Il ne le savait pas plus que nous… ou ses médecins.

Je vous confierais même que lorsque je l’ai rencontré et dîné avec lui pour la première fois, au printemps 1996, alors que l’on venait tout juste de me diagnostiquer un cancer agressif, M. Bourassa était dans une forme splendide.

C’était pourtant quelques semaines à peine avant qu’on lui annonce une nouvelle récidive, laquelle, contrairement à la précédente, allait l’emporter rapidement. Comme quoi, face au cancer, qui sait «tout»?

Certains ont aussi avancé que Jack Layton aurait «caché» la gravité de sa maladie pour ne pas handicaper son parti.

C’est bien mal connaître ces petites choses que sont l’instinct de survie, le goût de vivre et, surtout, l’inconnu.

On entend même des critiques envers Olivia Chow, sa veuve. Son crime? Avoir dit que son mari avait préféré ne pas décourager d’autres patients en gardant pour lui les détails de son dernier diagnostic.

Or, ce faisant, Mme Chow a servi une magnifique leçon d’humilité, de respect et de pudeur. Oui, de pudeur.

Dans le sens noble du terme.