Voix publique

La vraie question

Lors de son témoignage en commission parlementaire, Jacques Duchesneau a repris les grands pans de son rapport «explosif».

Collusion et corruption dans la construction. Financement occulte des partis politiques. Élections «clé en main» organisées par des firmes du milieu. Dépassements de coûts répétés et orchestrés. Un ministère des Transports vidé de son expertise et de son indépendance au profit du privé. Une Ville de Montréal «sous emprise». Infiltration de l’industrie et des partis par les «vautours» d’un crime organisé ayant «pris ses aises». Etc.

Selon le patron de l’Unité anticollusion, le crime organisé serait même devenu un «véritable acteur étatique». Ça sent presque le gouvernement parallèle.

Bref, on parle d’un «système» bien articulé et dont le résultat est double.

1) Détournements de fonds publics se chiffrant à des centaines de millions de dollars. 2) Une démocratie sous influence d’intérêts particuliers à l’appétit financier vorace.

Or, malgré un portrait aussi lugubre, M. Duchesneau sort un bien drôle de lapin de son chapeau en suggérant une commission d’enquête en deux temps. Un à huis clos. Donc, loin du regard des citoyens que l’on vole. Et un second, public. Peut-être, un jour. Mais peut-être pas non plus…

Pas surprenant qu’en commission, les libéraux aient préféré s’attarder sur ce lapin plutôt que sur l’épineuse question du financement des partis.

À qui profite le crime?

Or, personne ne pose la VRAIE question. Laquelle pourrait même constituer la base du mandat d’une commission d’enquête véritablement indépendante et publique. On peut toujours rêver…

Cette question étant: comment, pourquoi et au profit de qui ce «système» décrit par M. Duchesneau a-t-il pu s’installer aussi confortablement?

À qui profite le crime?

Qui donc a laissé ce réseau d’influence de firmes de génie et de gros entrepreneurs prendre racine dans l’appareil gouvernemental? Et pourquoi?

Ce n’est tout de même pas le fruit du hasard.

Et cela est-il ou non l’œuvre exclusive du PLQ?

Un combat pourtant possible…

Même aux États-Unis – pourtant le paradis de l’entreprise privée -, on a su mettre en place des lois et des amendes sévères, dissuasives et punitives contre la collusion dans l’octroi de contrats publics. Alors qu’ici, c’est le règne de la complaisance, voire de la complicité.

Bien sûr, il y a ce parti pris ouvert du gouvernement Charest pour le privé dont l’origine est essentiellement idéologique. Pas surprenant qu’il ait remis les clés du ministère des Transports au privé.

Mais se pourrait-il qu’il y ait un second motif possible à ce parti pris? Disons, l’argent qu’il génère et l’entretien de réseaux importants d’influence?

Comment oublier ces collecteurs de fonds dont les entrées au bureau du premier ministre Charest étaient telles qu’ils passaient des heures à aider une certaine Chantal Landry à mettre les bons «Post-it» sur les bons noms à la bonne affiliation politique pour de très bons postes?

Ce modus operandi s’exerce-t-il ailleurs?

Autre question: le modus operandi de ce «système» existe-t-il dans d’autres ministères et sociétés d’État? Y retrouve-t-on le même lien que dans la construction entre contrats publics et ce que M. Duchesneau qualifie de «financement occulte» des partis et même d’«enrichissement personnel de certains élus»?

Un système superbement décrit dans son rapport par un ex-conseiller politique: «à travers des professionnels du financement, les politiciens encouragent la déviance et se mettent en position de vulnérabilité face à l’industrie. (…) Plus ils ont de contrats, plus ils donnent; plus ils donnent, plus ils ont de l’influence; plus ils ont de l’influence, plus ils ont de contrats. (…) Ils deviennent presque intouchables (…)».

On dirait presque des saucisses Hygrade.

Et pourtant… M. Duchesneau a beau parler d’un «univers clandestin» et de «vautours» mafieux en veston-cravate qui se trempent le bec dans tous les partis en les finançant en échange de gros contrats, il s’est dit incapable d’identifier au «provincial» ce phénomène constaté si souvent au municipal.

Sûrement qu’une commission d’enquête publique – où le huis clos serait l’exception et non la règle, comme pour la commission Gomery – serait mieux habilitée à fouiller cette question centrale.

Mais en même temps, on sait qu’il n’y aura pas de commission PUBLIQUE d’ici la prochaine élection. Alors, que faire?

M. Duchesneau a raconté cette histoire de fous où des entrepreneurs malhonnêtes se font voler des valises remplies d’argent comptant dont ils se servent pour «donner» aux partis et payer leurs employés au noir.

Or, c’est connu, les vraies «valises d’argent» que l’on vole ici au grand jour, on les appelle des «contribuables».

C’est le prix à payer lorsqu’on vit dans une démocratie sous influence.

Et donc, à défaut d’une commission d’enquête publique, seule une population déterminée à ne plus se faire dévaliser impunément – et capable de le dire et redire haut et fort – finira un jour par en avoir raison.

On ne combattra certes pas la loi du silence en se contentant du silence radio d’une quelconque commission à huis clos. Ou de l’inaction volontaire du gouvernement.

Et encore moins en optant pour le silence collectif.