Voix publique

Les indignés de la Grande Allée

Ce n’est pas un secret d’État. La crise de confiance entre les Québécois et la quasi-totalité de leurs élites politiques perdure.

La crise est réelle. Profonde. Entêtée.

Le moral collectif est systématiquement miné par l’inaction suspecte du gouvernement Charest dans cette saga de collusion, corruption, construction, crime organisé, copinage et détournement massif de fonds publics dans les mauvaises poches.

Et que dire du ver dans la pomme – ce financement des partis politiques de toute évidence redevenu corruptible.

Cette crise est d’une ampleur telle qu’elle se propage, comme des métastases, jusqu’au sein même des partis.

La rapidité du phénomène est proprement étourdissante.

Le premier parti gravement atteint fut bien évidemment le PQ. Rongé par la pire crise interne de son histoire, miné par un leadership faiblard et saigné par la montée de François Legault, c’est l’existence même du PQ qui se retrouve aujourd’hui menacée.

Une brèche s’ouvre au PLQ…

Puis, voilà que cette semaine, une brèche, toute petite, s’ouvrait au PLQ. Faut dire qu’au Parti libéral, les dissensions sont moins nombreuses et spectaculaires qu’au PQ. Question de culture politique…

Cette brèche fut ouverte courtoisie de la démission du principal rédacteur de discours du premier ministre. Pour cause de «cas de conscience».

Un cas provoqué, il semblerait, par le refus obstiné de Jean Charest d’instituer une commission d’enquête publique.

Ne vous y trompez pas. Cet événement sans précédent est la manifestation d’une inquiétude montant jusque dans les rangs libéraux.

Au PLQ, on craint certes de perdre le pouvoir à la prochaine élection. Mais on a surtout peur de croupir longtemps dans l’opposition avec l’étiquette «corrompu» imprimée dans la mémoire des électeurs.

On peut même soupçonner que plusieurs libéraux, aussi muets soient-ils, sont en fait aussi dégoûtés que les citoyens de voir les fonds publics pillés à répétition au moment précis où les besoins explosent en santé, en éducation, dans les services sociaux et tutti quanti.

Pas besoin d’avoir lu le rapport Duchesneau pour savoir que sans commission d’enquête publique et indépendante, les écuries resteront souillées par cette gestion de sous-traitance tous azimuts à un secteur privé de plus en plus glouton.

Ce qui explique pourquoi aux yeux de la plupart des Québécois, le gouvernement Charest a perdu son autorité morale de gouverner.

Même ce ballon lancé in extremis voulant que le PLQ «débatte» d’une commission d’enquête lors de son prochain congrès est d’un pathétique sans nom. Du plus pur style «parle parle, jase jase»…

Pendant ce temps, l’alternative ne se nomme plus PQ, mais François Legault.

Reste seulement à voir si l’ADQ optera pour le simple concubinage avec Legault, des fiançailles formelles ou bien, un vrai mariage…

Bref, le vide politique est abyssal au point où un ancien ministre péquiste sans lustre ni grandes réalisations réussit tout de même à se faire passer pour le changement incarné.

Or, le vrai problème est que contrairement aux autres crises majeures qui ont jalonné l’histoire moderne du Québec, aucune solution de rechange substantielle, positive et susceptible de rallier une part importante des Québécois, ne se pointe encore à l’horizon.

En 1960, l’équipe du tonnerre de Jean Lesage attendait dans les coulisses pour mettre fin au duplessisme. En 1976, l’équipe exceptionnelle de René Lévesque se préparait à chasser un premier régime Bourassa usé.

Mais qui, aujourd’hui, peut prétendre incarner un vrai changement taillé sur mesure pour mieux protéger le bien commun, et non le dilapider? Du moins, suffisamment pour en convaincre une part importante de l’électorat.

Un «cas de conscience»

Et pourtant, les voix commencent à se mobiliser par des pétitions et manifs citoyennes.

Que ce soit par le biais de cette pétition sur le site de l’Assemblée nationale exigeant une commission d’enquête. Ou par le Mouvement dit du 24 septembre. Ou encore via d’autres initiatives.

Par contre, pour le moment, aussi volontaires soient-elles, ces voix demeurent trop peu nombreuses.

Or, l’inspiration est peut-être tout près d’ici.

Prenez les «indignés» de Wall Street – mieux connus sous le nom de «OccupyWallStreet».

À l’instar des «indignés» européens et israéliens, ces manifestants de plus en plus nombreux sont outrés par les effets dévastateurs de la rapacité des grands financiers et le refus des gouvernements de les mettre au pas.

Leur cri du cœur ne passe pas inaperçu. Au point où le milliardaire américain George Soros leur donne son appui.

Ici, un mouvement «OccupyMontréal» commence même à s’exprimer.

Bref, ce qui unit tous ces cris du cœur est le ras-le-bol d’élites politiques de moins en moins au service du bien public.

Alors, qui sait? Peut-être verrons-nous un jour les «indignés» de la Grande Allée?

Sinon, la traversée du désert risque d’être longue.