Voix publique

Le chaînon manquant

Le constat est brutal. Le gouvernement ne donne aux Québécois ni la vérité, ni sa recherche. Même pas l’ombre du début d’une pointe.

La vérité est devenue le chaînon manquant de la politique québécoise. Le congrès surréaliste du PLQ en fut une illustration magistrale.

Après qu’il eut créé la commission Charbonneau – sans pouvoirs et confinée au huis clos en grande partie -, on a rapporté que sous pression, Jean Charest avait «plié» en opérant une série de volte-face.

Certains ont ainsi conclu qu’il ouvrait la porte, enfin, à une VRAIE commission d’enquête sur la corruption, la collusion et le copinage. Donc, avec immunité et obligation pour les témoins de comparaître.

Mais était-ce vraiment une volte-face? Pas si on relit le décret du 19 octobre instituant la commission Charbonneau.

Un de ses «attendus» est celui-ci: «Que la commission décide de ses règles de fonctionnement, établisse ses priorités d’action, ainsi que toute autre règle qu’elle estimera utile à son fonctionnement.»

Or, dans le même décret, cet «attendu» est contredit par un autre: «Qu’à cette fin, la commission ne puisse accorder d’immunités et qu’en conséquence, elle ne puisse contraindre à témoigner.»

Ou la commission «décide de ses règles» ou elle n’en décide pas!

C’est l’un ou c’est l’autre. Pas les deux en même temps.

Mais alors, si la juge France Charbonneau peut «décider de ses règles», pourquoi diable M. Charest n’a-t-il pas tout simplement appliqué la Loi sur les commissions d’enquête dès le début?

Réponse: parce que d’appliquer cette loi ne lui aurait pas permis de vous jouer un petit tour de passe-passe. Un tour rendu justement possible par ce décret du 19 octobre avec ses deux «attendus» contradictoires.

Objectif du PM: espérer que la juge accepte l’interdiction d’obliger les témoins à comparaître qu’il contenait. Ce qui fut en effet le cas.

Ce que le PM n’avait pas anticipé était la sortie cinglante du Barreau contre son décret. Sans compter les nombreuses entrevues d’experts dans les médias affirmant que M. Charest disait des faussetés…

Dont surtout une «ligne» reprise ad nauseam par le PM et le ministre de la Justice Jean-Marc Fournier pour justifier le refus de créer une vraie commission d’enquête publique en vertu de la loi.

Cette «ligne» étant que contraindre des témoins à comparaître avec immunité les protégerait de toute poursuite au criminel. Or, c’est archifaux. La commission Gomery l’a amplement démontré.

Comment messieurs Charest et Fournier – deux avocats – pouvaient-ils l’ignorer? Ont-ils induit sciemment les Québécois en erreur?

Et que dire du même ministre de la Justice qui multiplie les commandes à la juge Charbonneau. Du genre: elle devra ne pas contaminer la preuve. Elle devra collaborer avec l’Unité permanente anticorruption (UPAC), etc.

(Par hasard, le patron de l’UPAC, un ancien de la SQ, s’oppose lui aussi à une commission d’enquête publique. Comme le monde est petit.)

La cerise sur le gâteau: un PM poussant le cynisme jusqu’à lancer que si la juge Charbonneau veut que la Loi sur les commissions d’enquête s’applique à sa propre commission, elle n’a qu’à le lui DEMANDER.

Or, mieux vaut qu’elle se dépêche. Sinon, elle se réveillera avec une commission fantôme, sans la moindre crédibilité, parce que soumise au bon vouloir du PM, de la police et de l’UPAC. Un danger pour la démocratie ou une vaste farce? Un peu des deux.

Bref, les Québécois sont soumis à une enfilade spectaculaire de mensonges et de demi-vérités. Le tout baignant dans une dangereuse confusion entre les pouvoirs du gouvernement, du judiciaire et de la police.

Mais qui croira un premier ministre pyromane déguisé soudainement en pompier alors qu’il tente de faire croire que Madame la juge, elle peut lui «demander» ce qu’elle veut?

Non, la juge n’a rien à lui demander. Une commission d’enquête n’est pas un buffet chinois. C’est au chef de l’exécutif, M. Charest, de s’exécuter.

Le seul geste qui puisse encore sauver cette commission est de la soumettre, par décret, à la Loi sur les commissions d’enquête.

Ça, ce serait une véritable volte-face. Mais une volte-face qui, tout au moins, honorerait sa fonction.