Voix publique

Les quêteux

Armé de sa majorité et d’un Bloc décimé depuis l’élection du 2 mai, Stephen Harper n’a vraiment plus besoin du Québec. Ou si peu…

Avec comme résultat qu’il peut enfin donner libre cours à ses obsessions ultraconservatrices: patriotisme, monarchie et militarisme. Il peut, sans sourciller, nommer des anglos unilingues aux plus hauts postes. Avec le projet de loi C-10, il peut même se moquer ouvertement d’une approche favorable à la réadaptation des jeunes contrevenants – celle du Québec.

Le tout, en sept mois seulement de gouvernement majoritaire! Un pensez-y bien pour les 41 mois qui restent à ce mandat-ci…

Au printemps, j’écrivais sur cette page qu’une fois majoritaire, le régime Harper deviendrait un véritable rouleau compresseur. Ce fut le cas.

Or, la classe politique québécoise est fort mal équipée pour y résister.

Même face à la vague patriotique-feuille-d’érable, monarchiste et militariste, ce fut silence radio, ou presque, chez la classe politique québécoise.

Sur C-10, le ministre de la Justice du Québec s’est certes déplacé à Ottawa pour y dire son désaccord, mais il est rentré bredouille comme un quêteux un peu trop achalant à qui on ne daigne même plus lancer un petit 25 cents.

Même chose pour l’abolition du registre des armes d’épaule et la destruction de sa banque de données. Et même traitement à Ottawa pour le ministre québécois de la Sécurité publique…

Quant au PQ, sa chef ose à peine dire le mot «souveraineté» et préfère demander à Jean Charest de se «fâcher» plus contre Ottawa en annonçant un code criminel québécois. Un code, bien entendu, provincial. Bref, Stephen Harper peut dormir tranquille.

Une CAQ docile

Du côté de chez la Coalition Avenir Québec (CAQ), on se fait docile. Comme si la donne musclée servie le 2 mai dernier n’existait pas. Docile, François Legault, lui aussi, demande à M. Charest de faire le «choqué» face à M. Harper.

Ici, on sent bien l’influence de Lucien Bouchard – le mentor de M. Legault. Lorsqu’il était PM, M. Bouchard aimait bien, lui aussi, faire le «choqué» devant Jean Chrétien. Mais sans jamais se fâcher suffisamment pour reprendre la promotion de la souveraineté…

Tout en pratiquant la politique de la «chemise déchirée», François Legault se fait doux comme un agneau. Un agneau que M. Harper se servira sûrement en sauce s’il venait à prendre le pouvoir.

Car M. Legault se contente de bien peu. Au point où l’ex-ministre péquiste voudrait rétablir les ponts avec M. Harper. Il désire même voir le Québec devenir un vrai joueur qui contribue à la fédération.

Comment? M. Legault dit que c’est en donnant au Québec un rapport de force avec Ottawa. Comment? Selon lui, avec un Québec assez riche pour se passer de la péréquation d’ici 10 ans – soit presque 8 milliards de dollars par année.

Bref, pour M. Legault, une province riche est une province puissante. Mais le Québec n’est pas une province comme les autres. C’est le seul État francophone du pays. C’est donc politiquement qu’il parle. Or, la CAQ se déclare d’avance impuissante puisqu’elle enterre la souveraineté autant que le fédéralisme renouvelé. Le silence des agneaux…

Cette position comptable des caquistes perpétue également le mythe d’un Québec-province-pauvre-et-quêteuse. Ce qui est faux.

En juin, Claude Picher, chroniqueur à La Presse parti depuis à la retraite, en faisait la démonstration contraire. Se basant sur les travaux de l’Institut de la statistique du Québec, il notait que le Québec tire autour de 25% de ses revenus en péréquation et transferts fédéraux, alors qu’en Ontario, c’est 22%. Plusieurs provinces en reçoivent même une part plus élevée que le Québec.

Même les riches – Alberta, Saskatchewan et Colombie-Britannique – comptent sur les transferts fédéraux pour 15 à 20% de leurs recettes.

Ce qui n’a pas empêché Conrad Black de se fendre d’un article fielleux félicitant les fédéralistes d’avoir vaincu les nationalistes en achetant le Québec à coups de milliards de péréquation et transferts fédéraux. Seule la CAQ, peu dérangeante, trouve grâce aux yeux du magnat déchu.

Donc, le Québec, un quêteux? Sur le plan économique: non.

Sur le plan politique? C’est une autre histoire. Et ce, des deux côtés de l’Assemblée nationale. C’est d’ailleurs ce qu’exprimait récemment Paul Piché dans Le Journal de Montréal. Dans une longue lettre ouverte, il disait s’inquiéter d’un PQ qui n’ose plus relancer le débat sur la souveraineté…

Et ce n’est certes pas la CAQ qui, avec sa toison d’agneau et sa pensée comptable, fera trembler les piliers du temple de Stephen 1er.