Voix publique

Keching-keching!

Le nouveau choix de carrière de Nathalie Normandeau en choque plusieurs. Avec raison.

Quatre mois après avoir quitté le gouvernement Charest, elle passe chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) – une firme-conseil influente comptant parmi ses clients des compagnies minières fort intéressées au fameux Plan Nord de Jean Charest.

Disons qu’avec ses 80 milliards de dollars en investissements sur 25 ans – le «chantier d’une génération», selon le premier ministre -, c’est un véritable Klondike pour de nombreuses firmes d’ici et étrangères.

Keching-keching! Une symphonie de milliards pour oreilles corporatives averties.

D’où le «cas» Normandeau. Ministre des Ressources naturelles et responsable du Plan Nord jusqu’en septembre dernier, elle est maintenant une mine de connaissances stratégiques. L’art de valoir son pesant d’or.

On ne va peut-être pas en politique pour faire de l’argent, mais on peut toujours monnayer dans le privé son passage au pouvoir.

Bien sûr, elle jure qu’elle ne dira rien à ses clients de ses connaissances privilégiées. Un peu comme si son cerveau était dorénavant scindé en deux compartiments étanches: un pour les informations confidentielles et l’autre pour le reste…

Mais à moins de la barder de micros cachés comme dans un James Bond, qui saura ce qui se dira vraiment? On ne l’a tout de même pas recrutée pour son bac en science politique ou son certificat en études africaines.

Ce qu’on sait, par contre, c’est que la firme RCGT a nommé Mme Normandeau vice-présidente au développement stratégique et qu’elle voit en celle-ci un «atout des plus précieux» pour ses clients. Un euphémisme dans les circonstances.

Car, en effet, le timing de son passage chez RCGT n’est pas fortuit. Politiquement, le Plan Nord est un enjeu préélectoral majeur pour M. Charest, son ex-patron. Financièrement, Mme Normandeau arrive au moment même où le milieu des affaires est en pleine mobilisation stratégique pour maximiser les opportunités du Plan Nord.

Jacques Parizeau et plusieurs experts ont beau dénoncer cette grande braderie de nos ressources, les compagnies, elles, se préparent.

Leur lobbying politique s’active. Surtout du genre plus informel, plus discret. Le nom de Mme Normandeau pourrait ouvrir bien des portes.

Les rencontres et les conférences se multiplient entre partenaires d’affaires et gouvernementaux. Un exemple parmi d’autres: la revue Les Affaires annonce ses «Rendez-vous dans la Série Plan Nord». Le premier, tenez, sera avec Jean Charest.

Le 13 février, au Palais des congrès, 1 995$ pour une table «privilège» vaudra à ces convives d’être tout près de la table du PM.

Puis, en avril, ce sera un rendez-vous de deux jours à Québec baptisé «Plan Nord: développez des partenariats gagnants». Tout plein de conférences, de réseautage et de partenariats à forger entre firmes québécoises, canadiennes et étrangères. Y seront des minières, des firmes d’avocats, de génie-conseil, de comptables, le ministère des Transports, maires, entrepreneurs, etc.

Le tout présenté en termes très clairs: «L’actualité nous annonce des projets à coups de milliards de dollars du côté de l’industrie minière. (…) Sans contredit, le Plan Nord que nous propose le gouvernement québécois recèle d’occasions /sic/ d’affaires très lucratives.» Sans blague…

L’Institut canadien – un think tank d’affaires de Toronto -, tiendra lui aussi des conférences et des rencontres dont la prémisse est spectaculaire: «Les demandes pour les infrastructures au nord sont illimitées!». Un de ces événements est commandité par RCGT, nul autre que le nouvel employeur de Mme Normandeau. Une sacrée coïncidence.

Bref, voilà le contexte politique et financier dans lequel s’amorce la nouvelle carrière de l’ex-ministre du Plan Nord. Âmes sensibles, s’abstenir.

Résultat: le commissaire à l’éthique examine la recevabilité d’une plainte du député caquiste Éric Caire, lequel craint qu’elle ne divulgue des informations privilégiées à ses futurs clients.

Or, pendant ce temps, la grande entreprise, elle, bouge. Elle réseaute dans l’espoir de faire beaucoup, beaucoup d’argent avec nos ressources. Une telle manne ne passe pas tous les jours.

Après tout, si l’industrie du gaz de schiste a pu se payer un ex-premier ministre et quelques ex-chefs de cabinet, l’«industrie» du Plan Nord peut bien se recruter une ex-ministre. Pour commencer.

Et pourtant…

Au-delà des codes d’éthique, il devrait exister quelque chose que l’on nomme le sens de l’État et de l’honneur.

Un quelque chose, par contre, qui ne s’achète pas.