Voix publique

Le plan Charest

Le 30 avril prochain, Jean Charest fêtera ses 14 années comme chef du Parti libéral du Québec. Tout juste avant, le 14 avril, il entamera sa 10e année comme premier ministre. Eh oui. Déjà…

Étonnant. L’ancien lieutenant de Brian Mulroney et ex-chef du Parti conservateur tient le coup. Encore et toujours. Même qu’il se prépare fébrilement pour une élection printanière.

Face à un PQ et une CAQ aux appuis fragiles, il pourrait même gagner. Qui sait? Quoiqu’une telle victoire serait sûrement minoritaire, comme en 2007. Mais le pouvoir, c’est le pouvoir, non?

Si tel était le cas, Jean Charest entrerait dans les livres d’histoire comme ayant obtenu quatre mandats consécutifs. Rien de moins.

Même Robert Bourassa avait dû s’exiler en Europe pour se faire oublier après sa défaite de 1976 avant de revenir pour remporter en 1985 le troisième de ses quatre mandats comme premier ministre.

Seul Maurice «le cheuf» Duplessis avait fait mieux avec cinq mandats, dont quatre consécutifs. Le tout, à la tête de ce qu’était à l’époque l’omnipuissante Union nationale. C’est pour dire.

Après l’élimination de son principal rival, Gilles Duceppe, on a beaucoup parlé de la grande résilience de Pauline Marois. Or, Jean Charest, c’est l’original! Pas tuable, politiquement parlant. Du moins, jusqu’à ce que les électeurs en décident autrement.

La plan-nordisation du Québec

L’analogie avec Duplessis surprend, mais elle est instructive. Pas que M. Charest soit un PM autoritaire. Au contraire. Depuis l’élection de 2003, on l’a vu reculer dans plusieurs dossiers controversés comme le Suroît. Ce que Duplessis n’aurait jamais, jamais fait.

Autre différence majeure: Duplessis était un apôtre de l’autonomie provinciale. Jean Charest? Pas du tout.

Les parallèles entre les deux hommes sont ailleurs. En tout premier lieu, dans leur filiation idéologique conservatrice. Avec plusieurs nuances, bien sûr. Autres temps, autres mœurs.

Il reste que Jean Charest est proche des milieux d’affaires et une certaine privatisation des services publics est loin de lui déplaire. Ni au milieu des affaires d’ailleurs, lequel, fort généreusement, remplit la caisse du PLQ depuis des décennies. (Il donne aussi à la CAQ essentiellement parce que la vision caquiste recoupe la sienne, tout comme celle du PLQ. Quel heureux hasard.)

Autre parallèle: le Plan Nord, que M. Charest baptise pompeusement «le chantier d’une génération». Il le porte sur toutes les tribunes. Plus de 80 milliards de dollars en investissements pour les prochains 25 ans, c’est vrai que c’est beaucoup. Même trop.

Bref, c’est la plan-nordisation du Québec!

Traduction: le premier ministre fait de l’économie SA priorité. Du moins, présumée. Ce qui nécessitera, par contre, de faire oublier aux électeurs – les vrais propriétaires des ressources naturelles – qu’ils n’auront pas droit à un partage équitable des bénéfices, lesquels s’annoncent pourtant gargantuesques. Mais surtout pour les gazières, minières et pétrolières de ce monde.

C’est ainsi qu’il tentera de faire aussi oublier le rapport Duchesneau, la commission Charbonneau, la corruption, la collusion, le copinage, le crime organisé dans la construction, etc.

Pour certains, le Plan Nord n’est pas sans rappeler le fameux «1 cent la tonne» en échange duquel Duplessis avait laissé aller le minerai de fer au privé. D’autres le comparent à la Baie James de Robert Bourassa.

Or, ce sont plutôt les méthodes de vente de M. Charest qui rappellent celles du «cheuf» et son slogan inoubliable: «Duplessis donne à sa province». (Rappel: Duplessis fut un pionnier de ce qu’on appelle aujourd’hui le marketing politique.)

Prenant des moyens nettement plus sophistiqués, mais pas nécessairement aussi efficaces que ceux de Duplessis (!), Jean Charest se présente en 2012, lui aussi, comme celui qui «donne à sa province». Qui donne des «jobs» aux familles avec son Plan Nord.

Bref, le Plan Charest, c’est ça. 1) Économie. 2) Plan Nord. 3) Silence face à Harper. 4) Silence sur les questions nationale et linguistique (plagié, en passant, par les caquistes).

Des emplois et pas de chicanes! Du moins, il fait le pari de vous en convaincre. Surtout, il table sur la solidité de sa base anglophone et allophone doublée d’une division du vote francophone qui s’annonce sans précédent. Une division telle qu’elle pourrait avantager le PLQ.

«Les dés sont jetés», comme disait son mentor Brian Mulroney quelques jours avant l’échec de l’accord du lac Meech. Lequel, s’en souvient-on encore, reconnaissait le Québec comme société distincte. Autres temps, autres moeurs.

Le soir de la prochaine élection saura dire si Jean Charest aura réussi à remporter son pari. Aussi risqué soit-il. Pour lui. Et pour le Québec…