Voix publique

Vaste programme

Thomas Mulcair ne chômera pas. Et pour cause. Le nouveau chef du NPD s’est donné une mission herculéenne: unir les forces progressistes et prendre le pouvoir dès la prochaine élection.

Traduction: même si son parti loge au centre gauche de l’échiquier, Thomas Mulcair ira aussi brouter dans les talles restantes du Parti libéral et du Bloc. L’échéancier est court et non négociable. Trois ans et demi d’ici l’élection.

Vaste programme, en effet.

Bref, ce que vise cet ancien ministre libéral de Jean Charest est ceci: attirer les non-conservateurs, les anti-Harper et même les décrochés de la politique. Du moins, suffisamment pour avoir la moindre chance de défaire Stephen Harper… un jour.

Pour les libéraux, lesquels commençaient à peine à se reconstruire, Thomas Mulcair est une menace sérieuse. Quant au Bloc, la dernière chose dont ce parti en lambeaux avait besoin était l’arrivée d’un chef néo-démocrate du Québec, déterminé, communicateur redoutable et connaissant la dynamique politique québécoise comme le fond de sa poche.

Mauvais moment pour les bloquistes. D’autant plus que sans même lever le petit doigt, leur parti remontait dans les sondages…

Même le PQ devra composer avec un NPD au discours anti-Harper clair, net, précis et… fédéraliste. Un NPD qui, à Ottawa, tentera de se positionner comme la «voix» du Québec.

Du côté du PLQ de Jean Charest et de la CAQ de François Legault, Thomas Mulcair risque fort de faire ressortir encore plus leur propre insignifiance sur les questions de justice sociale et du rapport Québec-Canada.

Avec 58 députés au Québec contre quatre députés bloquistes dont le chef ne siège pas en Chambre, le successeur de Jack Layton aura ce qu’il faut pour se bâtir une bonne organisation. Pour les conservateurs, cela ne change rien ici. Leur croix est faite sur le Québec depuis au moins deux élections.

Mais pour Stephen Harper, c’est une autre histoire. Déjà qu’un sondage Environics plaçait son parti et le NPD au coude à coude à travers le Canada. Dorénavant, le premier ministre trouvera aussi devant lui, pour la première fois depuis sa prise du pouvoir en 2006, un chef de l’opposition officielle aux instincts tout aussi guerriers que les siens. Ou presque…

Ridiculiser les Martin, Dion et Ignatieff était d’une facilité enfantine pour M. Harper. Mais dans le cas de M. Mulcair, une opération aussi grossière risquerait de lui revenir en plein visage aussi vite qu’un boomerang.

Il reste que de faire face à la puissante et richissime machine bleue de Harper ne sera pas une sinécure. Pas étonnant que le nouveau chef du NPD tentera de constituer un trésor de guerre de plus de 3 millions de dollars pour l’élection. Un minimum.

L’épée de Damoclès

Qu’à cela ne tienne, les libéraux pensent avoir trouvé le talon d’Achille d’un NPD redevenu aussi menaçant pour eux qu’à la dernière élection: la fameuse «déclaration de Sherbrooke».

Cette déclaration du NPD accepte le 50% + 1 comme suffisant pour une victoire du OUI lors d’un référendum. Une hérésie hors Québec! Depuis l’adoption de la loi dite de la clarté sous Jean Chrétien, le consensus y est qu’Ottawa peut et doit refuser toute victoire serrée du OUI.

Par conséquent, libéraux et conservateurs sont persuadés que si le PQ devait prendre le pouvoir, cette position du NPD ferait instantanément de Thomas Mulcair l’ennemi public numéro 1 au Canada anglais. Un vrai piège à ours, quoi.

Il est vrai que cette épée de Damoclès, au moment opportun, pourrait affaiblir gravement les appuis du NPD hors Québec.

Or, prédire les résultats de la prochaine élection québécoise est un sport, disons, hasardeux. Et même si le PQ prend le pouvoir, la question serait hautement hypothétique puisqu’il ne s’engage aucunement à tenir un référendum.

Ce qui ne veut pas dire que Thomas Mulcair ne se retrouvera pas coincé, éventuellement, entre les intérêts politiques et économiques souvent contradictoires du Québec et du Canada anglais. Un Canada anglais où il aura besoin d’aller puiser beaucoup de votes…

Entre-temps, ses énergies iront plutôt à rapailler plus d’appuis au NPD. Après tout, le terrain des non-conservateurs, des anti-Harper et des décrocheurs de la politique est un vaste champ.

Un champ qui, face à un gouvernement ultra, ultraconservateur, n’attend plus qu’à être labouré avec attention et détermination.

Vaste programme, en effet…