Voix publique

L’inconfort et l’indifférence

La chose est connue. Michael Ignatieff fut un chef catastrophique pour le Parti libéral du Canada. Certainement pas le seul, mais désastreux néanmoins.

De retour à sa carrière universitaire, il parvient tout de même à mettre ses anciens collègues en colère. Tous partis confondus.

La raison? En entrevue à la BBC écossaise, il avançait que l’indépendance de l’Écosse et du Québec seraient toutes deux inéluctables. Hors Québec, sa sortie lui a bien évidemment valu toute une volée de bois vert!

Dans la même entrevue, hormis ce coup de tonnerre, Michael Ignatieff a cependant mis le doigt sur quelque chose de fondamental en constatant une indifférence mutuelle croissante entre le Québec et le Canada. Un pays disloqué où la «question du Québec» suscite à peine quelques bâillements agacés.

Ce diagnostic, il n’est pourtant pas le premier à le faire. Loin s’en faut. Mais pour un ex-chef du PLC, le dire constitue un véritable crime de lèse-Canada. Au point où il n’eut d’autre choix que de s’en excuser publiquement tel un pauvre pécheur tentant d’échapper aux lions de l’arène fédérale en implorant leur miséricorde pour cause de folie passagère…

Ce qui n’enlève pourtant rien à la vérité du propos. Le pays est nu, s’est-il écrié d’une certaine manière. Le problème est qu’il est également devenu sourd…

Les exemples de cette indifférence abondent. Le plus récent étant celui du 17 avril dernier – jour du 30e anniversaire du rapatriement de la Constitution par Pierre Trudeau.

Événement passé presque inaperçu, les rares à le marquer au Québec dénonçaient sa ratification unilatérale sans l’accord de l’Assemblée nationale. Un bris de contrat spectaculaire entre les «deux peuples fondateurs». Tandis qu’au Canada anglais, les rares à s’en souvenir célébraient au contraire l’inclusion de la Charte canadienne des droits comme acte fondateur d’un Canada nouveau.

Bref, même 1982 laisse indifférents des millions de Canadiens et de Québécois devenus aussi amnésiques que leurs politiciens. On oublie aussi Meech, Charlottetown, le référendum de 1995, le Plan B, etc. Le tout passant aujourd’hui pour de la nostalgie aussi ringarde que dépassée. Deux peuples lobotomisés de leurs propres histoires et les élites politiques vivent dans la dénégation de cette dislocation tranquille du Canada. Car de fait, plus rien ne bouge sur le front constitutionnel. Et ce, pour deux raisons.

Primo: le gagnant du dernier référendum ne veut rien céder au perdant. Secundo: le perdant n’inquiète plus le gagnant. D’autant que, depuis 1996, le PQ ne fait plus de la réalisation de l’indépendance sa priorité ultime. Quant au PLQ, il ne demande plus rien par crainte qu’un nouvel échec ne vienne gonfler les appuis à la souveraineté. Le cercle est aussi vicieux que réel.

Si le Canada se montre mauvais gagnant, c’est parce que ses dirigeants savent que, politiquement, pas la moindre conséquence politique concrète n’en découle pour eux ou le pays. Point.

Même François Legault, cet ex-ministre péquiste aux sincérités aussi successives que celles de son mentor Lucien Bouchard, porte fièrement sa propre reddition inconditionnelle. Et ce, jusqu’à traiter Michael Ignatieff de «déconnecté» pour avoir osé soulever la question de l’indépendance. Force est de constater que le chef caquiste sert fort joliment les intérêts qu’il représente…

En 1965, le premier ministre Daniel Johnson père lançait un avertissement puissant à Ottawa sous la forme d’un livre. Pour le Québec, ce serait «égalité ou indépendance». Quarante-sept ans plus tard, les Québécois n’auront finalement eu ni l’une, ni l’autre.

Pourtant, si l’indifférence s’est installée, un inconfort persiste. Du moins, au Québec. Sondages et études montrent de plus en plus une majorité de Québécois devenus prisonniers d’un terrible paradoxe. D’un côté, souhaitant encore un fédéralisme renouvelé apte à leur donner plus de pouvoirs au sein du Canada. De l’autre, prédisant eux-mêmes l’échec inévitable d’une telle démarche!

Comme s’ils savaient, au fin fond, que le Canada se fait sans eux, mais sans pour autant en admettre les conséquences.

De fait, le Québec s’enlise dans ce pays dans une marginalisation aussi lente qu’aliénante. Sur tous les plans – politique, économique, social, culturel et linguistique.

Or, on ne peut savoir d’avance quels en seront ici les effets concrets à moyen et long termes. Qu’en émergera-t-il au fil du temps? Une résurgence du désir d’indépendance? Si oui, y aura-t-il même un véhicule politique déterminé à le porter? Ou aurons-nous plutôt un jour une réconciliation Québec-Canada miraculeuse? Ou alors, plus simplement, la continuation de cette lente dilution de la nation québécoise dans le grand tout canadien? Nul ne le sait.

Comme quoi, rien n’est inéluctable.