Les Anges déchus : A ciel ouvert
Cinéma

Les Anges déchus : A ciel ouvert

Après Chungking Express, mais avant Happy Together, WONG KAR-WAI a signé Les Anges déchus, un film sauvage et brillant, porté par l’amour du cinéma. Coup de cour.

Après les sorties de Chungking Express et de Happy Together, Les Anges déchus (Fallen Angels) vient confirmer la réputation de Wong Kar-Waï comme l’un des auteurs les plus originaux et les plus stimulants présentement à l’ouvre dans le monde. Réalisateur de films souvent improvisés, énergiques et inclassables, Wong Kar-Waï signe des ouvres qui révèlent constamment son plaisir de faire du cinéma; le plaisir tout simple de filmer une moto qui accélère ou le grain d’une peau qui transpire; de syncoper le montage d’une scène ou bien d’en étirer le rythme; d’improviser une réplique ou une séquence entière autour d’un détail saisi sur le vif.

Bien que plusieurs cinéastes partagent ce plaisir et l’envie de le communiquer, peu d’auteurs ont assez de talent pour le faire en surmontant les problèmes (de construction, de contenu, de cohérence…) qu’entraînent habituellement ce type d’improvisation. Wong Kar-Waï, lui, a ce talent, et le possède suffisamment pour nous séduire par la seule force de sa passion.

Certes, Les Anges déchus ne surprendra pas ceux qui ont vu Chungking Express – un film dont il reprend de nombreux éléments, motifs et thèmes. Les deux ouvres mettent en scène des personnages d’assassins implacables et d’amoureux fous; ils utilisent tous deux les mêmes grands angulaires, le même montage saccadé et les mêmes couleurs saturées; et ils partagent tous deux plusieurs détails (la présence de l’Hôtel Chungking, du chiffre 223, et de l’acteur Takeshi Kaneshiro), tout en racontant deux histoires chacun (histoires clairement séparées dans Chungking Express, et habilement entremêlées dans Les Anges déchus).

Du reste, l’attrait du film ne réside pas dans l’étrange chassé-croisé amoureux qui unit ici les destins d’un tueur à gages solitaire (Leon Lai), d’une «agente» amoureuse de lui (Michele Reis), de son «ex» possessive (Karen Mok), et d’un ancien détenu muet au cour tendre (Takeshi Kaneshiro). L’intérêt du film réside plutôt dans les variations narratives et poétiques que permettent les relations complexes de ce quatuor bizarre, errant dans l’univers d’un Hong-Kong situé au carrefour du XXIe siècle et du film noir.

De fait, le personnage central du film n’est pas un des protagonistes, mais plutôt une ambiance que l’auteur tente de saisir en une série d’instantanés – tantôt drôles, tantôt violents – surprenants par leur énergie et leur inventivité: la rencontre hilarante du tueur à gages avec un vieil ami d’enfance; l’attachement pathétique d’une femme prête à tout pour garder l’amant d’un soir; la folle course d’un couple d’amoureux à moto dans les tunnels de Hong-Kong; le rapprochement inattendu d’un fils et de son père mourant, grâce à une vidéocassette.

Il en résulte un film décousu mais vivant, violent mais tonique, traversé d’images superbes (signées Christopher Doyle) et d’étonnants moments de poésie. Un film qui parvient à unir en un tout harmonieux une foule de parti pris artistiques douteux (abus des grands angulaires, montage frénétique, couleurs criardes) qu’il tient ensemble par sa seule habileté, sa vitesse d’exécution et son amour du cinéma. Bref, le genre d’ouvre sauvage, survoltée et imprévisible, que l’on voit rarement en ces temps de films mous, domestiqués et frileux.

Wong Kar-Waï dit souvent que ses films n’aspirent pas – contrairement à beaucoup d’autres – à être comme des livres, mais tout simplement comme des cartes postales. Celles qu’il nous envoie dans Les Anges déchus témoignent d’un paysage étrange mais fascinant qui n’appartient qu’à lui, mais dont vous n’oublierez sans doute jamais l’ambiance, le rythme et les couleurs.

Au Parallèle
Voir calendrier
Cinéma exclusivités