Modulations : Ondes de choc
«Ils vivent dans une culture de l’amnésie.» Voilà comment DJ Spooky résume la génération rave, celle qui sort les week-ends pour danser toute la nuit sur des musiques dont ils ignorent plus ou moins les racines, et qui zappent vers toujours plus de nouveauté, de nouvelles sensations.
Ce n’est là qu’une des affirmations entendues dans le documentaire-sprint Modulations, réalisé par Iara Lee (Synthetic Pleasures), qui tente, en 75 minutes et 78 artistes interviewés ou simplement filmés dans 37 clubs ou événements de partout à travers le monde électronifié (dont Montréal), de retracer l’historique du mouvement des musiques électroniques et de mesurer son impact sur l’évolution de la musique contemporaine, sur leurs créateurs et leurs amateurs. Un programme chargé, nécessairement incomplet et discutable, mais diablement instructif, qui défile à la même vitesse que ce mouvement a évolué, c’est-à-dire très rapidement.
Si la réalisatrice a exploité le rythme effréné de son sujet pour donner forme à son film, elle est restée assez conventionnelle côté traitement de l’image. Dommage, surtout lorsqu’on sait que le multimédia fait partie intégrante du développement des musiques électroniques. Par contre, si l’esthétique reste sobre, c’est peut-être pour mieux nous aider à digérer la quantité incroyable d’information qui parvient à nos oreilles. Toute la narration du film est laissée à ses acteurs.
Historiquement, tout y passe (ou presque): du manifeste futuriste The Art of Noises, écrit en 1913 par Luigi Russolo, qui prédisait l’utilisation des sons d’origine industrielle au service d’une nouvelle musique; aux premières expériences d’instruments électroniques (Theremin, ondes Martenot) dans les années vingt; les expérimentations de John Cage, Pierre Henry, Stockhausen, Miles Davis et Kraftwerk; l’apparition du Moog, un des premiers synthétiseurs; et même le disco futuriste de la pièce I Feel Love de Donna Summer, réalisée par Giorgio Moroder!
Tout ce chemin pour arriver au house de Chicago, à la création du son acid house, puis à celle du techno par des D.J. de Detroit, jusqu’au jungle / drum’n’bass de Londres et au hardcore extrémiste allemand, en passant par les turntablist hip-hop et le techno japonais survitaminé. Ouf! Un portrait global qui nous en apprend beaucoup et peu à la fois, mais qui a au moins l’avantage de mettre des mots, des visages et surtout des sons sur ce qui reste encore, pour beaucoup trop de gens, une sous-culture éphémère qui ne s’adresse qu’à quelques marginaux extasiés. Au contraire, ce mouvement ne cesse de se diversifier, et de correspondre de plus en plus à une génération à la fois amnésique des traditions et désespérément à la recherche d’un monde nouveau, rempli de nouveaux sons et de nouvelles musiques.
Comme le dit le journaliste Calvin Bush, au début de Modulations: «Tout ce que l’on peut faire, c’est de profiter du voyage, même si on ne sait pas où ça va nous mener.»
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