Smoke Signals : Aimer sans réserve
Cinéma

Smoke Signals : Aimer sans réserve

«Il fait beau temps sur la réserve ce matin, un très beau temps pour être indigène.» Rien que dans le ton, celui de la voix radiophonique qui réveille la réserve indienne de Cour D’Alene (Idaho), on sent que Smoke Signals n’aura rien du film indien «traditionnel». Une nouvelle porte vient de s’ouvrir sur l’affirmation d’une identité, comme Spike Lee l’a fait pour les Noirs.

Smoke Signals est le premier film écrit, tourné et produit par des Amérindiens. Le scénariste, Sherman Alexie, auteur de petites nouvelles qui commencent à faire du bruit, a tiré ce film de son recueil The Lone Ranger and Tonto Fisfight in Heaven. Le réalisateur, Chris Eyre, 28 ans, a embarqué dans l’aventure, séduit par la vision drôle, émouvante et sincère de l’écrivain. La séduction a aussi fonctionné au Festival de Sundance où le film a gagné deux prix, dont celui du public. Un film minuscule donc, mais qui risque de faire boule de neige. Pas d’acteurs connus, pas de gros message, juste une incursion tragicomique dans «the Rez», la réserve.

Deux jeunes gars aussi opposés que possible, Victor (Adam Beach) et Thomas (Evan Adams), quittent la réserve pour récupérer les cendres du père de Victor, mort près de Phoenix, Arizona. Un parcours initiatique pour les deux acolytes, à la recherche du père; d’une identité et d’une amitié. Un propos qui n’a rien de nouveau, mais une vision rafraîchissante qui donne à ce film justesse, humour et émotion et, chose rare, un ton.
Loin des cow-boys et des Indiens, loin de Dances with Wolves ou de Once We Were Warriors, Smoke Signals se joue de la sempiternelle description des Indiens fiers guerriers, buveurs invétérés ou grands sages. Il amalgame ces lieux communs et ajoute la dimension actuelle, mélée d’humour et de cynisme: l’Indien qui se débrouille entre une identité solide, un paquet de traditions, l’alcool mal cuvé, la violence mal digérée, et une société de consommation tentaculaire. C’est Geronimo à l’heure de MacDo. De nombreux clins d’oil, des costumes aux décors, évoquent un passé avec lequel on doit composer.

Au milieu, Victor et Thomas se cherchent, fouillant dans leur culture pour se donner une constance. Victor a choisi le masque du guerrier sauvage et inflexible, qui rit et parle peu. L’Indien de légende. Thomas, bonasse, sourire aux lèvres, joue le conteur, mêlant les souvenirs d’un déjeuner chez Deny’s et les coutumes ancestrales! Les deux images sont boiteuses, mais se complètent. A la fin du film, on revient à la case départ avec des personnages grandis, des ados prêts à entrer dans l’âge adulte, des Indiens prêts à assumer leur différence. Avec, à la clef, une interrogation ouverte intéressante: quand on a pardonné à son père, que fait-on?

Smoke Signals est un film solide qui déconstruit les mythes de façon savoureuse, qui construit une réalité avec intelligence, qui se moque de lui-même avec amour, et qui sait, avec pudeur, peindre les zones d’ombre de la violence, de l’ennui et de l’alcool sans que cela ne fasse tache au tableau. Pour les auteurs, l’important est l’homme, sa place, son rôle et son avenir. Un film brillant qui ouvre les portes d’une culture riche et méconnue. Un bienfait dans les deux sens.