

Pi : Avoir la forme
					
											Georges Privet
																					
																				
				
			Pi, le premier long-métrage de Darren Aronofsky (gagnant du Prix du meilleur réalisateur au dernier Festival de Sundance), fait preuve d’une originalité et d’une ambition très rares dans le cinéma américain indépendant d’aujourd’hui. De fait, les qualités de ce thriller en noir et blanc à très petit budget (60 000 dollars) sont si rares qu’elles viennent bien près de faire oublier les emprunts et les facilités de ce film singulier et inclassable: une sorte de suspense mathématique existentiel, à mi-chemin entre Kafka, Searching For Bobby Fisher et The Twilight Zone, qui se sert des chiffres pour parler de la Bourse, de la religion et du sens de la vie.
  Désarçonnés? Il y a de quoi. Surtout quand Aronofsky nous  plonge d’emblée dans le cerveau fiévreux de son protagoniste,  Max Cohen (Sean Gullette), un mathématicien génial, misanthrope  et paranoïaque, persuadé que le langage des chiffres détient la  clé de l’univers, et dont les recherches attirent l’attention  d’une secte hassidim, obsédée par le décryptage de la kabbale,  et d’une firme de Wall Street, préoccupée par le risque d’un  krach boursier! Ajoutez des maux de tête violents qui font  régulièrement halluciner notre héros (bonjour David Lynch); une  poursuite grotesque, qui oppose des rabbins armés à des  fiers-à-bras de Wall Street (on se croirait dans Marathon Man);  et assez de références aux insectes, au cerveau et à la  transformation pour nourrir trois films de Cronenberg; et vous  avez un ramassis d’emprunts confus mais prometteur, décousu  mais ambitieux, impressionnant mais tape-à-l’oil.
  De fait, Pi fait partie de ces films qui séduisent par  l’originalité de leur sujet, la singularité de leur regard et  l’ambition de leur propos, mais qui déçoivent par leur  incapacité à transformer ces vertus en un tout rigoureux,  solide et cohérent. Ouvre inégale, mais souvent intéressante,  qui témoigne d’un oil sûr (mais aussi d’un certain manque de  talent narratif), Pi est un film accrocheur, et parfois même  captivant, qui annonce l’arrivée d’un cinéaste  incontestablement prometteur. Seul l’avenir nous dira si son  créateur sera un jour à la hauteur de ses ambitions, ou si Pi  restera le symbole d’un auteur plus intéressé par la forme que  par le fond.  
  Dès le 24 juillet
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