Saving Private Ryan : Patrie aux tics
Cinéma

Saving Private Ryan : Patrie aux tics

Une séquence d’ouverture renversante, une histoire pleine de bons sentiments et du patriotisme mur à mur: SPIELBERG se fait plaisir avec Saving Private Ryan, un «film de guerre à échelle humaine» honnête mais ronflant.

Ça finit comme ça commence: avec le drapeau américain flottant au vent, nimbé de lumière. Entre les deux, un flash-back de 158 minutes, celui de James Francis Ryan (Harrison Young), dans un cimetière de vétérans, entouré de sa famille au grand complet. En juin 1944, le soldat Ryan (Matt Damon) est parachuté dans la campagne normande, sans savoir que ses trois frères sont morts au combat. Pour faire exemple et «consoler» la mère qui a perdu tous ses enfants sauf un, l’état-major américain envoie la compagnie du capitaine Miller (Tom Hanks) à la recherche de Ryan, avec pour mission de le ramener sain et sauf en terre d’Amérique. Mais tout ne se passera pas comme prévu…

Avec Saving Private Ryan, le réalisateur de Jurassic Park a voulu signer un film qui «serve à quelque chose». Plus que Cecil B. De Mille ou John Ford, Steven Spielberg veut être le Frank Capra de cette fin de siècle. Et il a trouvé, en Tom Hanks, son James Stewart, incarnation des valeurs dont voudrait bien être faite l’Amérique: courage, dignité, humanisme, devoir, sobriété, etc. Depuis longtemps on le sait doué pour raconter une histoire en images, l’ex-wonder boy de Jaws; mais avec les années, l’expérience et les honneurs, l’amuseur public est aussi devenu un producteur tout puissant, et un homme qui veut mettre son talent et son argent au service de grandes idées. Grand bien lui fasse.

Après l’Holocauste (Schindler’s List) et l’esclavage (Amistad), il se penche donc sur la Seconde Guerre mondiale, sur ces soldats morts pour la patrie, sur ces hommes qui, au prix de leur vie, ont sauvé le monde libre. Les intentions sont louables, et le résultat, ronflant. Ce n’est pas la compagnie du capitaine Miller qui part en mission, c’est le cinéaste lui-même. S’il est redoutablement efficace avec une caméra, Spielberg a aussi de bien gros sabots lorsqu’il aborde de grands sujets. A l’exception de Schindler’s List (où l’on sentait un réel plaisir de filmer et une implication totale), les deux derniers films de Steven le missionnaire prêchent autant qu’ils montrent.

Encore plus que James Cameron, Spielberg peut faire n’importe quel film. Alors, pourquoi celui-là? Pourquoi un film de guerre, un vrai, une histoire d’hommes «qui n’ont pas froid aux yeux mais restent humains au milieu de cette boucherie absurde»? Parce que Spielberg est fasciné depuis toujours par les films de guerre (adolescent, il réalisa Escape to Nowhere, film d’aventures pendant la Seconde Guerre mondiale)? Parce que les soldats, la Maison-Blanche et le président américain fleurissent sur les écrans hollywoodiens depuis quatre, cinq ans?
Le film de guerre est un genre bien défini, et Spielberg suit les rails que d’autres ont tracés bien avant lui: une scène de combat, une scène de franche camaraderie, un maxillaire tendu avec larme perlant au fond de l’oil, une touchante anecdote d’enfance («back home, we use to…»), et on recommence avec le combat sanglant, l’amitié virile, etc. Les quinze premières minutes – *les bataillons sacrifiés du débarquement de Normandie (où sont les G.I. noirs envoyés à l’abattoir?) – sont les meilleures. Une caméra au ras du sol, une image hyperréaliste, une ambiance de bruit et de fureur: Spielberg ne nous épargne rien, membres mutilés, ventres ouverts, crânes explosés, confusion, horreur, douleur. On n’a vraiment pas envie de faire carrière sous les drapeaux, mais on s’y croirait. C’est du grand Spielberg, celui de l’arrivée du vaisseau spatial dans Close Encounters…, celui de la poursuite à vélo dans E.T., celui de l’attaque aérienne dans Empire of the Sun. C’est après que ça se gâte, lorsque Steven The Preacher veut éduquer les foules. Il n’y a techniquement rien à reprocher à Saving Private Ryan (sinon qu’on se demande pourquoi, avec un budget de 70 millions de dollars, ils n’ont pas été foutus de trouver quelqu’un capable d’écrire correctement en français!): scénario en béton, interprétation juste et sobre, musique anormalement retenue de John Williams, mais derrière ce savoir-faire qui étouffe l’enthousiasme perce un discours plus réactionnaire qu’il n’en a l’air.

Ce qui, au départ, devait être une comédie saignante, quelque part entre Les Douze Salopards et M.A.S.H., est devenu un drame patriotique à saveur légèrement antimilitariste, et Spielberg nous refait exactement le coup de Schindler’s List: «Si on en sauve un, on les sauve tous», un thème parfait pour un débat, mais qui aurait mérité plus de nuance et de complexité quand on a le talent et le pouvoir du réalisateur de Duel. Vingt-cinq ans après la guerre du Viêt-Nam, Hollywood se tourne à nouveau vers un glorieux passé militaire, une opération jamais innocente. Tous aux abris!

Dès le 24 juillet
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