

The Bible and Gun Club : Vente de feu
					
											Éric Fourlanty
																					
																				
				
			Un premier film en noir et blanc, écrit et réalisé par un  natif d’Afrique du Sud (Daniel J. Harris), coproduit par un  Montréalais (Pierre Sévigny), dont l’action se passe à Las  Vegas dans les années 60, présenté avec des sous-titres  français, ça intrigue. Dans le rayon encombré du «cinéma  indépendant américain», The Bible and Gun Club est une très  agréable surprise. D’abord parce qu’on y sent la voix d’un  auteur, le regard d’un cinéaste qui ne réinvente pas la roue  mais qui mélange habilement l’ironie, l’émotion, le rire et la  caricature, et une assurance dans les choix (photo, bande  sonore, direction d’acteurs, etc.) assez rare dans un premier  film.
  Inspiré de Salesmen, un documentaire de 1969 des frères  Maysles, The Bible and Gun Club suit cinq types qui vendent des  bibles et des armes, pendant un congrès de vente à Las Vegas.  Ils ont la quarantaine pénible, des visages déjà fatigués, la  bedaine idoine, dynamiques et souriants lorsqu’ils travaillent,  cyniques et désabusés lorsqu’ils sont entre eux. De porte en  porte, ils défendent une Amérique bien protégée (par les armes)  et bien éduquée (par la Bible); vendant à une population qui  vit dans la peur de Dieu et la crainte du vol une illusion de  sécurité. Mais le soir venu, le chat sort du sac: le patron,  vétéran de Corée, vendrait son beau-fils – ancien champion de  golf – pour quelques dollars; l’un pense avoir un cancer et  passe sa vie en revue; un autre, ancien flic masochiste,  assiste au tournage d’un film porno; et le plus vieux – un  ancien rabbin, seul Juif, dit-il, à vendre des bibles – tente  de garder la tête froide au milieu de ce fiasco discret mais  réel.  
Puritaine, frustrée, cupide, violente et paranoïaque: avec un missel et une carabine comme emblèmes, l’Amérique profonde en prend pour son grade. Le pays que nous montre Harris n’est pas reluisant – a-t-il changé tant que ça? Le film d’Harris serait déprimant si on ne sentait pas une affection lucide mais réelle du cinéaste pour ses personnages. Ce ne sont ni des paumés, ni des victimes, ni des bourreaux. Simplement cinq pauvres types qui ne mènent pas la vie dont ils rêvaient, des Américains moyens qui draguent des hôtesses de l’air en guise d’aventure, des quadragénaires sans signes particuliers qui tentent de sauver la face. Bien qu’empathique, le regard d’Harris n’est jamais complaisant, ces gars-là incarnent en sourdine le machisme banal, le fascisme quotidien, le racisme ordinaire qui baignent un pays sur le point d’être secoué par le vent des sixties.
  The Bible and Gun Club, c’est de l’anti-Syd Field, ce  pseudo-scénariste qui enseigne comment écrire une histoire  «gagnante». Ici, l’intrigue a le cours sinueux et heurté des  films de Cassavetes; la lumière (Alex Vendler) a le réalisme du  cinéma vérité des années 60; les dialogues, apparemment  anodins, sont cinglants et justes; et les acteurs, aussi  solides qu’inconnus (surtout Don Yanan, en ex-flic tordu, et Al  Schuermann, en p’tit boss), composent un ensemble  remarquable.
  Si les cravates ficelles et la trame sonore – de la trompette  d’Herb Alpert à la voix de Neil Diamond – évoquent, sans  nostalgie, une époque révolue, ce Glengarry Glenn Ross fauché  et brillant est bien de son temps. Le surprenant premier film  d’un cinéaste à surveiller.  
Du 24 juillet au 6 août
  Au Cinéma du Parc
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